Nouvelle vision de la Tarentule

Il était une fois dans l’espace-temps, une histoire de création cosmique: des milliers de jeunes étoiles jamais vues repérées dans une pépinière stellaire appelée 30 Doradus, capturées récemment par le JWST. Surnommée la nébuleuse de la Tarentule en raison de l’apparition de ses filaments poussiéreux sur les précédentes images du télescope, la nébuleuse est depuis longtemps un favori des astronomes qui étudient la formation des étoiles. En plus des jeunes étoiles, le JWST a révélé des galaxies lointaines, ainsi que la structure détaillée et la composition du gaz et de la poussière de la nébuleuse.

Le cycle de formation des étoiles est parfaitement illustré lorsque l’on observe cette nébuleuse voisine. La nébuleuse de la Tarentule (également connue sous le nom de 30 Doradus, ou NGC 2070 ou Caldwell 103), est une région que les astronomes qualifient de HII, ce qui veut dire qu’il y règne une forte dominante de l’hydrogène ionisé. Elle se situe dans le Grand Nuage de Magellan. Initialement, on pensait qu’il s’agissait d’une étoile (d’où la dénomination désuète de 30 Doradus dans la classification de Flamsteed), mais en 1751 le français Nicolas-Louis de Lacaille a pu identifier sa nature nébuleuse. Elle est distante de 161 000 années-lumière de la Terre. Le taux de naissance d’étoiles y est plus élevé qu’en n’importe quelle région de notre Galaxie, ce qui vient d’être confirmé par les observations du JWST. La nébuleuse de la Tarentule est la plus grosse nébuleuse connue. L’instrument MIRI du JWST a capturé des protoétoiles nichées dans des nuages de gaz et de poussière, tout en accumulant de la masse. La nébuleuse d’une magnitude apparente totale voisine de 5, est aisément visible à l’œil nu (hors de la pollution lumineuse des villes) comme une condensation petite et brillante en périphérie immédiate du Grand Nuage de Magellan. Si elle apparaît légèrement moins brillante et moins étendue que la célèbre nébuleuse d’Orion, les distances respectives de ces deux régions HII par rapport à un observateur terrestre sont sans commune mesure. En effet, la nébuleuse d’Orion est environ 100 fois plus proche — 1 600 années-lumière. Intrinsèquement, la Tarentule est donc considérablement plus vaste, lumineuse et massive. Abstraction faite de l’absorption interstellaire, si elle se trouvait aussi proche de nous que la nébuleuse d’Orion, alors elle nous apparaîtrait deux fois plus étendue que le chariot de la Grande Ourse pour une luminosité perçue totale équivalente à celle de Vénus à son maximum (gain de dix magnitudes environ). Il s’agit en réalité de la région HII connue la plus active du Groupe local, et aussi l’une des plus étendues avec NGC 604, dans la galaxie du Triangle.

En son centre, un ensemble extrêmement compact d’étoiles chaudes produit la majeure partie du rayonnement ultraviolet qui ionise le gaz environnant et rend la nébuleuse visible. L’amas d’étoiles correspondant porte la dénomination R136a, mais il existe également d’autres amas dispersés comme Hodge 301. La lueur rougeâtre de la nébuleuse de la Tarentule est due à ce que les astronomes appellent l’excitation de l’hydrogène. Le gaz est excité par les puissants rayonnements lumineux émanant d’étoiles géantes. Celles-ci brûlent leur combustible nucléaire avec une telle intensité qu’elles l’épuisent en seulement en quelques millions d’années (le même processus prend des milliards d’années chez des étoiles plus modestes, comme le Soleil). Puis elles explosent en supernovas. Une géante bleue de la nébuleuse de la Tarentule qui s’est transformée en supernova a capté l’attention des astronomes du monde entier, le 23 février 1987 (La supernova la plus proche à avoir été observée depuis l’invention du télescope, SN 1987A, s’est produite non loin de la nébuleuse de la Tarentule). Et, depuis, de nombreux scientifiques continuent à observer ses rémanents. 

Le JWSt a observé cette nébuleuse. Les observations en infrarouge moyen avec l’instrument MIRI (conçu et développé en France sous l’égide du CEA et du CNES), nous offrent de nombreuses découvertes. Pour la première fois, plusieurs mille jeunes étoiles, voire dix mille, ont été observées dans une région de cette nébuleuse, toujours cachées par les poussières en lumière visible. Encore s’aperçoit-on des étoiles en rouge aussi, qui viennent de naître récemment.

L’énergie de ces jeunes étoiles est si forte que l’effet de vent stellaire forme une espace qui contient moins de gaz et de poussières. Les filaments compliqués, symbole d’une Tarentule, ont été formés par ce vent stellaire.

En observant à différentes longueurs d’onde avec MIRI, le JWST a réussi à identifier les composants de gaz et de poussières. Contrairement à ce que les chercheurs imaginaient, une étoile dans l’incubateur n’est pas directement obscurcie par le nuage d’atome d’hydrogène (détecté à 1,87 microns dans l’infrarouge proche avec NIRSpec). Elle est située en dehors de la bulle d’hydrogène. Or, l’étoile sur le point de naitre est recouverte par un nuage d’hydrogène moléculaire (observé avec NIRSpec à 2,12 microns), et plus étonnamment, de poussières d’hydrocarbure (détéctées à  3,30 microns). L’interprétation des scientifiques est que l’hydrogène est éloigné de par la force de la lumière produite par des jeunes étoiles. La formation des étoiles dans la nébuleuse de la Tarentule serait donc assez différente de celle qui opère dans d’autres galaxies, y compris la Voie lactée. C’est pourquoi les chercheurs s’intéressent fortement à  cette nébuleuse. Sans doute la composition chimique de celle-ci serait-elle similaire à celle de l’univers, lorsque ce dernier n’avait que quelques milliards d’années seulement.

Dans cette mosaïque s’étendant sur 340 années-lumière, la caméra infrarouge proche du JWST, NIRCam, montre la région de formation stellaire de la nébuleuse de la Tarentule sous une nouvelle lumière, y compris des dizaines de milliers de jeunes étoiles jamais vues qui étaient auparavant enveloppées de poussière cosmique. Source : NASA, ESA, CSA, STScI, Webb ERO Production Team.

Vue avec la caméra NIRCam, la région ressemble à une tarentule terrière, bordée de soie. La cavité de la nébuleuse centrée sur l’image a été creusée par le rayonnement d’un amas de jeunes étoiles massives, qui scintillent de bleu pâle sur l’image. Seules les zones environnantes les plus denses de la nébuleuse résistent à l’érosion par les puissants vents stellaires de ces étoiles, formant des piliers qui semblent pointer vers l’amas. Ces piliers contiennent des protoétoiles en formation, qui finiront par émerger de leurs cocons poussiéreux et façonneront à leur tour la nébuleuse.

C’est exactement ce que fait une très jeune étoile que l’on distingue clairement sur les images prises par NIRCam. Les observations effectuées avec le spectrographe NIRSpec montrent que cette étoile est sans doute plus vieille que ce que les astronomes pensaient auparavant et qu’elle était déjà en train d’éliminer une bulle autour d’elle. Cependant, NIRSpec a montré que l’étoile commençait à peine à émerger de son pilier et maintenait toujours un nuage de poussière isolant autour d’elle. Sans les spectres à haute résolution du JWST cet épisode de formation stellaire en action n’aurait pas pu être révélé.

Aux longueurs d’onde les plus longues captées par MIRI qui observe dans l’infrarouge thermique, les observations du JWST se sont concentrées sur la zone entourant l’amas d’étoiles centrales et ont dévoilé une vision très différente de la nébuleuse de la Tarentule (Source : NASA, ESA, CSA, STScI, Webb ERO Production Team).

La région prend une apparence différente lorsqu’elle est vue dans les longueurs d’onde infrarouges plus longues détectées par MIRI. Les étoiles chaudes s’estompent, le gaz plus frais et la poussière brillent. Dans les nuages de la pépinière stellaire, les points de lumière indiquent des protoétoiles incrustées, qui gagnent encore en masse. Alors que des longueurs d’onde plus courtes de la lumière sont absorbées ou dispersées par des grains de poussière dans la nébuleuse, et donc n’atteignent jamais le JWST pour être détectées. A des longueurs d’onde plus longues (dans l’infrarouge thermique que nous offre MIRI) il est possible de pénètrer cette poussière, ce qui nous révéle finalement un environnement cosmique inédit.