TRAPPIST-1, la saga continue ! Le JWST vient de mesurer l’émission thermique de TRAPPIST-1 c, la petite soeur de TRAPPIST-1 b

À l’aide du télescope spatial James Webb, un groupe d’astronomes dirigé par le MPIA (Max Planck Institute for Astronomy), en collaboration avec une équipe du Département d’Astrophysique du CEA Paris-Saclay, a recherché une atmosphère sur l’exoplanète rocheuse TRAPPIST-1 c. Bien que la planète soit presque identique à Vénus en termes de taille et de température, son atmosphère s’est révélée très différente. En analysant la chaleur émise par la planète, ils ont conclu qu’elle pourrait n’avoir qu’une atmosphère ténue contenant un minimum de dioxyde de carbone. Toutefois, cette mesure est également compatible avec une planète rocheuse stérile dépourvue d’une atmosphère significative. Ces travaux nous permettent de mieux comprendre comment les atmosphères des planètes rocheuses en orbite autour d’étoiles de faible masse peuvent résister aux vents stellaires puissants et au rayonnement UV intense.

Ces résultats sont publiés dans la prestigieuse revue Nature.

 

Cette article est la suite de l’article sur TRAPPIST-1 b.

 

Les étoiles de faible masse peuvent éroder les atmosphères planétaires

Figure 1 – Les mesures détaillées des propriétés physiques des sept planètes rocheuses TRAPPIST-1 (en haut – illustration d’artiste) et des quatre planètes terrestres de notre système solaire (en bas) aident les scientifiques à trouver des similitudes et des différences entre les deux familles de planètes.
Crédit: NASA/JPL

Après avoir étudié l’émission thermique de la planète TRAPPIST-1 b qui a montré qu’elle est probablement dépourvue d’atmosphère (cf. l’article sur TRAPPIST-1 b), les astronomes, en collaboration avec le CEA Paris-Saclay, ont pointé le JWST vers sa petite soeur, TRAPPIST-1 c, en utilisant la même méthode d’observation.

« Le système planétaire TRAPPIST-1, situé à proximité, est actuellement le meilleur candidat pour étudier les atmosphères des planètes rocheuses semblables à la Terre en orbite autour d’une naine rouge », explique Sebastian Zieba, chercheur en thèse à l’Institut Max Planck d’astronomie de Heidelberg, en Allemagne. Il est l’auteur principal de l’article.

Les astronomes ont pendant longtemps soupçonné TRAPPIST-1 c d’être un analogue de Vénus (cf. Figure 1). En effet, à l’instar de cette dernière, le diamètre et la masse de TRAPPIST-1 c sont proches de ceux de la Terre et le rayonnement reçu de son étoile est presque identique à celui de Vénus. Toutefois, l’étoile autour de laquelle tourne TRAPPIST-1 c est une naine rouge ultra froide. Les étoiles du même type que Trappist-1a présentent une forte activité stellaire, susceptible d’éroder l’atmosphère de leurs planètes. Néanmoins, étant plus massive que la Terre, son attraction gravitationnelle à sa surface est supérieure, ce qui devrait contribuer à la conservation de son atmosphère malgré les conditions.

« Nous voulions savoir si TRAPPIST-1 c avait échappé à ce destin et avait pu conserver une atmosphère substantielle, voire être semblable à la planète Vénus dans le système solaire », ajoute Sebastian Zieba.

La température, une mesure compliquée, même pour le JWST

Figure 2 – Cette image illustre la courbe de phase d’une planète, soit la variation de luminosité globale du système étoile-planète au cours de la révolution de la planète. Dans le cas d’une planète gravitationnellement verrouillée par les forces de marée, son côté jour, soit la face éclairée et chauffée par l’étoile, n’est visible que juste avant et après son passage derrière l’étoile (éclipse).
Crédit : ESA

TRAPPIST-1 c est gravitationnellement verrouillée par les forces de marée, c’est-à-dire qu’elle présente toujours la même face à son étoile. Il en résulte que la durée du jour est la même que celle d’une année (environ 2,42 jours terrestres) et qu’il y a deux hémisphères distincts, l’un en permanence éclairé et l’autre plongé dans une nuit éternelle. De plus, son orbite est orientée de telle sorte que, de notre point de vue, la planète passe devant son étoile à chaque révolution (cf. Figure 2). Cela permet d’observer la planète pendant un transit (passage de la planète devant son étoile) et juste avant et après une éclipse (lorsque la planète passe derrière son étoile). Cette dernière position permet d’observer le côté éclairé de la planète et donc de mesurer son émission thermique ainsi que les caractéristiques de l’atmosphère qui l’entoure.

 

Dans tous les cas, la caractérisation de l’atmosphère des planètes rocheuses de la taille de la Terre est une tâche difficile en raison de la faible luminosité de la planète par rapport à celle de l’étoile, même pour le télescope spatial James Webb (JWST). C’est pourquoi l’équipe a combiné l’observation de quatre éclipses de TRAPPIST-1 c afin d’accumuler un maximum de signal. Ils ont utilisé l’instrument MIRI dont la vision dans l’infrarouge moyen est parfaitement adaptée pour détecter l’émission thermique comme une planète. Le filtre utilisé était centré à 15 µm, correspondant à une longueur d’onde caractéristique de la bande d’absorption du CO2.

TRAPPIST-1 c pourrait avoir une fine atmosphère

Figure 3 – Ce graphique compare la luminosité mesurée de TRAPPIST-1 c aux données de luminosité simulées pour trois scénarios différents. La mesure (diamant rouge) est compatible avec une surface rocheuse nue sans atmosphère (ligne verte) ou une atmosphère très fine de dioxyde de carbone sans nuages (ligne bleue). Une atmosphère épaisse riche en dioxyde de carbone avec des nuages d’acide sulfurique, similaire à celle de Vénus (ligne jaune), est peu probable.
Crédits : NASA, ESA, CSA, Joseph Olmsted (STScI)

La pression et la composition d’une atmosphère déterminent la température d’une planète en fonction de la lumière qu’elle reçoit de son étoile. Inversement, la température détermine la quantité de lumière infrarouge émise par la planète. Ainsi, les mesures infrarouges combinées à des modèles atmosphériques fournissent des indices sur l’atmosphère et sa composition.

Contrairement aux attentes des astronomes, les températures n’atteignent “que” 110 °C, soit 390 °C de moins que sur Vénus. La lumière infrarouge émise par TRAPPIST-1 c ne correspond pas à une atmosphère vénusienne, riche en dioxyde de carbone provoquant un fort effet de serre (cf. Figure 3).

« Nous pouvons définitivement exclure une atmosphère épaisse et semblable à celle de Vénus », déclare Laura Kreidberg, responsable scientifique du programme d’observation du JWST, coauteure et directrice du MPIA.

TRAPPIST-1 c possède-t-elle au moins une fine enveloppe gazeuse ? Pour explorer cette possibilité, les scientifiques ont calculé la probabilité statistique qu’un ensemble de paramètres atmosphériques corresponde aux observations. Ce modèle atmosphérique comprend une gamme de pressions de surface et des mélanges d’une atmosphère dominée par l’oxygène (O2) avec des traces variables de dioxyde de carbone (CO2). En effet, les astronomes pensent que les planètes comme TRAPPIST-1 c devaient posséder une atmosphère contenant du dioxyde de carbone et de la vapeur d’eau au début de leur évolution. Au fil du temps, le rayonnement stellaire décompose les molécules d’eau en hydrogène et en oxygène. Alors que l’hydrogène, très volatil, s’échappe progressivement dans l’espace, les molécules d’oxygène, plus lourdes, subsistent, ce qui donne une atmosphère riche en oxygène avec des traces de dioxyde de carbone.

Bien que ces premières mesures ne fournissent pas d’informations définitives sur la nature de TRAPPIST-1 c, elles permettent de limiter les possibilités.

« Nos résultats sont cohérents avec le fait que la planète soit un rocher nu sans atmosphère, ou qu’elle ait une atmosphère de CO2 très fine (plus fine que celle de la Terre ou même de Mars) sans nuages », a déclaré S. Zieba. « Si la planète avait une atmosphère de CO2 épaisse, nous aurions observé une éclipse secondaire très peu profonde, voire aucune. En effet, le CO2 aurait absorbé toute la lumière de 15 microns, de sorte que nous n’en aurions détecté aucune en provenance de la planète. »

Ce résultat ouvre certaines perspectives car les étoiles froides ont une durée de vie de l’ordre de 10 milliards d’année et une jeunesse particulièrement active, et pour le moment on ne sait pas si des petites planètes autour de telles étoiles peuvent garder une atmosphère pendant plusieurs milliards d’années (~7 milliards pour TRAPPIST-1).

« Ce résultat est vraiment très intéressant, dans le cas de TRAPPIST-1 b, la température mesurée à 15 microns était en accord avec une planète dénuée d’atmosphère (Greene et al. 2023), mais là avec TRAPPIST-1 c, la mesure nous laisse espérer la présence d’une fine atmosphère composée d’un mélange d’oxygène et de carbone », se réjouit Elsa Ducrot, chercheuse au CEA Paris-Saclay, troisième auteure de l’article.

Prochaines étapes

Les signaux mesurés dans cette étude sont faibles et de nombreuses propriétés sont encore inconnues, ce qui entraîne des incertitudes.

« Les observations d’atmosphères minces de planètes rocheuses poussent le JWST à ses limites », admet Kreidberg

D’autres observations du JWST sont donc nécessaires pour distinguer une planète rocheuse stérile d’une planète dotée d’une atmosphère ténue. En mesurant la lumière émise par TRAPPIST-1 c dans une large gamme de longueurs d’onde, les astronomes peuvent détecter de petites signatures d’absorption des gaz présents dans l’atmosphère.

« Nous avons obtenu du temps d’observation sur le JWST pour mesurer la courbe de phase combinée de TRAPPIST-1 b et c. Cela devrait nous permettre d’identifier de manière plus définitive si l’une des deux planètes (ou les deux !) possède une atmosphère », précise Elsa Ducrot.

En effet, De plus, une atmosphère
substantielle, quelle que soit sa composition, redistribue la chaleur du
côté jour vers le côté nuit, ce qui fait que la température du côté
jour est plus basse qu’elle ne le serait sans atmosphère (cf. Figure 4).

Le JWST vient d’effectuer une mesure historique : la première mesure de l’émission thermique d’une planète rocheuse tempérée

Situé à environ 40 années-lumière, le système TRAPPIST-1 est un système constitué de sept planètes rocheuses de type terrestre. Il fascine les astrophysiciennes et astrophysiciens depuis sa découverte en 2016 par bien des aspects. Il a été observé sans relâche par de nombreux télescopes au sol et dans l’espace. Le JWST a récemment permis de franchir une nouvelle étape dans notre quête insatiable des exoplanètes : mesurer directement la température d’une exoplanète rocheuse tempérée ! Cette mesure historique permet de penser que si la planète TRAPPIST-1-b, la plus proche de son étoile (une naine ultra froide), une atmosphère peu épaisse, sans ou avec très peu de CO2.


Ces résultats sont publiés dans la prestigieuse revue Nature


TRAPPIST-1, un système stupéfiant

Figure 1 : Système planétaire de TRAPPIST-1 en comparaison avec le système solaire interne.
Crédit : Emmanuelle MICHEL / AFP

Le système TRAPPIST-1 est un système tout à fait stupéfiant. Tout d’abord, son étoile hôte est une naine rouge ultra froide (de type M) : sa température effective est deux fois moins élevée que celle du Soleil car sa masse et sa taille qui ne sont que d’environ 10% des valeurs solaires. Son cortège de planètes est constitué de 7 rocheuses dont les tailles et les masses sont comparables à celles de la Terre (entre 0,77 et 1,15 R⊕ et entre 0,33 et 1,16 M⊕). Enfin, ce système est très compact, les planètes sont beaucoup plus proches de leur étoile que Mercure ne l’est du Soleil ; La plus lointaine étant 6 fois plus proche (cf. Figure 1). Une telle compacité implique une forte interaction gravitationnelle entre les planètes. Sans cesse, elles sont ralenties ou accélérées dans leur course par leurs voisines. On appelle cela la variation des temps de transit (TTV). Cette proximité engendre une résonance dite de Laplace, c’est-à-dire que les planètes sont couplées gravitationnellement par 3, créant une chaîne de 3 par 3 exoplanètes : TRAPPIST-1 c est influencée par les planètes b et d, TRAPPIST-1-d par c et e, et ainsi de suite). Cette résonance peut être observée dans notre système solaire : Les lunes de Jupiter. En effet, Io, Europa et Ganymède sont également en résonance de Laplace, leurs périodes sont commensurables.

 

« Il est plus facile de caractériser les planètes terrestres autour d’étoiles plus petites et plus froides. Si nous voulons comprendre l’habitabilité autour des étoiles M, le système TRAPPIST-1 est un excellent laboratoire. Ce sont les meilleures cibles dont nous disposons pour étudier l’atmosphère des planètes rocheuses »

Explique Elsa Ducrot astrophysicienne au Département d’Astrophysique (DAp) du CEA Paris-Saclay.

Une découverte jalonnée de surprise

Figure 2 : Le télescope TRAPPIST-Sud est installé à l’Observatoire de l’ESO de La Silla (Chili).
Crédit: E. Jehin/ESO

En 2016, une campagne d’observation d’exoplanètes a été initiée dans le cadre du programme SPECULOOS (Search for habitable Planets EClipsing Ultra-cOOl Stars) dont le but était d’observer les naines rouges les plus brillantes dans le ciel à la recherche de planètes de type terrestre dans la zone habitable de leur étoile. Ces petites étoiles offrent plusieurs avantages pour les chasseurs d’exoplanètes : 1. Elles sont statistiquement plus nombreuses dans le ciel. 2. Leur petite taille permet d’observer plus facilement des planètes de type terrestre car le ratio disque planétaire sur disque stellaire est bien plus grand (de l’ordre de 1%). 3. La très faible température effective de l’étoile implique une zone habitable plus proche d’elle. Or, une planète plus proche implique une période orbitale plus courte et donc des transits plus nombreux. SPECULOOS a commencé son programme d’observation avec le petit télescope de 60 cm de diamètre nommé TRAPPIST-Sud (TRAnsiting Planets and PlanetesImals Small Telescope–South), situé au Chili (hémisphère sud).

Le 2 mai 2016, trois planètes sont détectées par TRAPPIST-Sud autour d’une naine rouge ultra froide. Etant le premier système observé par cet instrument, on nomme alors ce système « TRAPPIST-1 ». Aussitôt, l’équipe de chercheuses et de chercheurs du programme SPECULOOS demande du temps d’observation avec le télescope spatial Spitzer pendant 20 jours consécutifs afin d’approfondir les recherches. Et quelle ne fut pas leur surprise de découvrir par transit quatre autres planètes, plus éloignées de leur étoile que les précédentes. Le cumul des observations de ces planètes devant leur étoile permet de connaitre la dynamique du système, à partir de laquelle les scientifiques ont pu déduire par le calcul la présence de la septième planète, comme Le Verrier l’avait fait avec Neptune en 1846 en observant les mouvements de Uranus. La chorégraphie planétaire permet également de déduire précisément la masse des planètes à partir des TTV. Quant aux rayons des planètes, elles sont déduites par la quantité de lumière obstruée pendant le transit. Connaissant les masses et les rayons, on calcule facilement la densité moyenne des planètes qui nous permet d’intuiter la nature de leur composition. En moyenne, elles sont 9% moins denses que la Terre. On peut alors imaginer des planètes avec un cœur comme celui de la Terre mais plus riche en vapeur d’eau, ou alors un cœur appauvri en fer, ou bien un cœur non différencié (sans noyau). Nous ne disposons pas encore assez d’information aujourd’hui pour discriminer les modèles planétaires.  

Après l’étude de la mécanique orbitale du système, place à la caractérisation des atmosphères. Le télescope spatiale Hubble est alors mis à contribution. Les observations ont permis d’affirmer qu’aucune planète n’avait d’atmosphère primaire, c’est-à-dire riche en hydrogène comme Jupiter, mais ne nous a pas permis de confirmer la présence d’atmosphère secondaire (comme Vénus ou la Terre), ni de déterminer sa composition.

L’observation de l’atmosphère : Le JWST à la rescousse

Figure 3 : Courbe de lumière montrant le changement de luminosité du système TRAPPIST-1 lorsque la planète la plus interne, TRAPPIST-1 b, se déplace derrière l’étoile. Ce phénomène est connu sous le nom d’éclipse secondaire.

Crédits : NASA, ESA, CSA, J. Olmsted (STScI) ; Science : Thomas Greene (NASA Ames), Taylor Bell (BAERI), Elsa Ducrot (CEA), Pierre-Olivier Lagage (CEA) et Achrène Dyrek (CEA)

Au cours de sa ronde, deux moments sont propices à l’observation de l’atmosphère d’une exoplanète depuis la Terre (cf. Figure 3) : lorsque la planète passe devant son étoile (transit) et juste avant qu’elle ne disparaisse derrière (éclipse secondaire). La première position permet de mesurer le spectre de transmission de l’atmosphère. On le déduit en soustrayant le spectre mesuré lors d’un transit au spectre stellaire hors transit. Cette mesure est très difficile car la diminution de l’intensité stellaire liée à l’absorption par l’atmosphère est de l’ordre de quelques dixièmes voire centièmes de pourcent… Inutile de dire que cela représente un challenge, d’autant plus que la surface de l’étoile, en particulier d’une naine rouge, peut contenir de nombreuses tâches et facules liées à l’activité magnétique de l’étoile. La seconde position permet de mesurer le spectre émis par la planète. Cette mesure est encore plus compliquée à obtenir car la lumière émise par la planète est extrêmement faible par rapport à celle de l’étoile. Néanmoins, elle permet d’obtenir directement la température de brillance de la planète (émission du corps noir) sans contamination par les hétérogénéités de la surface stellaire.

En émission, il est préférable d’observer la planète dans l’infrarouge (IR) pour deux raisons. Premièrement, après avoir absorbé essentiellement le rayonnement visible/proche IR de l’étoile, une planète réémet dans le moyen IR (MIR). L’étoile quant à elle, étant beaucoup plus chaude à cause des réactions nucléaires en son cœur, son spectre est davantage vers les plus courtes longueurs d’onde, avec donc une plus faible contribution dans l’IR. Le contraste d’observation est alors meilleur que dans le visible. Deuxièmement, les molécules que l’on souhaite détecter, comme le dioxyde de carbone (CO2) par exemple, ont leurs signatures spectrales particulièrement marquées dans l’IR.

 

C’est donc tout naturellement que les scientifiques se sont tournés vers le nouvel observatoire spatial : le JWST. Son œil de 6,5 m de diamètre permet non seulement de collecter beaucoup plus de lumière mais tout l’observatoire est optimisé pour observer dans le proche et moyen IR. Il est donc parfait pour regarder les autres mondes rocheux tempérés et percer leurs mystères.

 

Un focus particulier est fait sur la planète TRAPPIST-1 b car étant la plus proche de son étoile, elle émet davantage en IR thermique que les autres. Deux campagnes d’observation de l’émission de la planète par imagerie à filtre étroite ont été programmées : la première, menée par une équipe de la NASA en collaboration avec une équipe du CEA Paris-Saclay, se fait avec l’imageur MIRIm, développé au CEA Paris-Saclay, avec le filtre à λ=15 µm. Et la seconde observation est avec le filtre λ=12,8 µm, et sera menée par l’équipe du CEA Paris-Saclay cette fois-ci, en collaboration avec la même équipe de la NASA. A partir de simulations numériques, les scientifiques ont estimé que cinq transits (soit ~25h d’observation avec le JWST) suffisent pour mesurer l’émission de la planète avec un signal sur bruit significatif, c’est-à-dire un signal suffisamment intense pour affirmer que l’observation vient de la planète et non des erreurs de mesure des instruments. Les filtres à λ=15 µm et λ=12,8 µm n’ont pas été choisis au hasard : en deux mesures, ces longueurs d’onde permettent de suggérer la présence d’une atmosphère, et si oui, si elle contient ou non du CO2 qui possède une bande d’absorption caractéristique à 15 µm.  

Des résultats chauds !

Figure 4 : Ce graphique compare la température du côté jour de TRAPPIST-1 b, mesurée par l’instrument MIRI (Mid-Infrared Instrument) de Webb, à des modèles informatiques de ce que serait la température dans diverses conditions (avec et sans atmosphère). La température de Mercure et de la Terre sont indiquée à titre de référence. La luminosité du côté jour de TRAPPIST-1 b à 15 microns correspond à une température d’environ 500 Kelvin. Cela signifie que la mesure de la température de brillance de la planète à 15 microns avec le JWST est théoriquement en accord avec la valeur attendue pour une planète possédant une surface sombre et ayant peu ou pas d’atmosphère. Des observations dans des longueurs d’onde différentes sont nécessaires pour confirmer ce résultat.  
Crédits : Illustration : NASA, ESA, CSA, J. Olmsted (STScI) ; Science : Thomas Greene (NASA Ames), Taylor Bell (BAERI), Elsa Ducrot (CEA), Pierre-Olivier Lagage (CEA) et Achrène Dyrek (CEA)

Pour la première fois, une équipe de scientifique a réussi à observer l’émission thermique d’une planète rocheuse tempérée ! Le signal cumulé des 5 transits avec l’imageur MIRIm à 15 µm a permis d’atteindre un seuil de confiance de 8,7 sigma sur le résultat, soit presque trois fois plus pour qu’il n’en faut pour affirmer qu’un résultat est significatif.

« Avec le télescope Spitzer dans le proche infrarouge nous n’avions aucune détection même en combinant 28 occultations de TRAPPIST-1 b, avec MIRI on voit l’occultation de la planète en une seule visite !  »

S’exalte Elsa Ducrot au vu de ce résultat.

La luminosité mesurée du côté jour de TRAPPIST-1 b correspond à une température d’environ 503 K +/-26 K. Pour savoir si la planète a ou non une atmosphère, on compare cette valeur mesurée à des valeurs théoriques correspondant à divers modèles planétaires dans diverses conditions, basés sur nos connaissances du système, comme la température de l’étoile, la distance orbitale de la planète, et le fait que celle-ci soit verrouillée gravitationnellement par effets de marée, c’est-à-dire que les planètes présentent toujours la même face à leur étoile, comme la Lune avec la Terre.

 

On constate que la température mesurée est très proche de celle d’un corps noir parfait (albédo proche de zéro), soit un corps tellement sombre qu’il absorbe toute la lumière de son étoile. On peut également affirmer qu’il n’y a pas ou très peu d’atmosphère. Si la planète avait une atmosphère, la température aurait été inférieure à celle mesurée car la chaleur reçue de l’étoile se serait redistribuée dans l’ensemble de l’atmosphère planétaire, faisant ainsi baisser la température côté jour, jusqu’à une centaine de degré. Enfin, nous pouvons également affirmer qu’il n’y a pas de CO2. Si l’atmosphère en contenait une quantité même petite, elle émettrait significativement moins de lumière à 15 microns et semblerait encore plus froide car le CO2 absorbe le rayonnement à cette longueur d’onde ; c’est le principe de l’effet de serre. La figure 4 illustre la température de TRAPPIST-1 b mesurée en la comparant aux modèles avec et sans atmosphère ainsi que la température de la Terre et de Mercure comme références. On remarque alors qu’étant bien plus proche de son étoile, TRAPPIST-1 b est pourtant plus froide que Mercure, qui se compose de roches nues et d’aucune atmosphère significative, car elle reçoit environ 1,6 fois plus d’énergie du Soleil que TRAPPIST-1 b n’en reçoit de son étoile.

« Il y a une cible dont je rêvais”. C’était celle-ci. C’est la première fois que nous pouvons détecter les émissions d’une planète rocheuse et tempérée. C’est une étape vraiment importante dans l’histoire de l’étude des exoplanètes »

S’enthousiasme Pierre-Olivier Lagage, astrophysicien au CEA et directeur du DAp, qui a travaillé au développement de l’instrument MIRI pendant plus de vingt ans.

Une enquête à suivre…

Figure 5 : Représentation schématique d’un transit planétaire. (a) est le transit primaire, (b) est le transit secondaire.

En juillet 2023, l’imageur MIRIm aura terminé d’effectuer ces cinq observations nécessaires de TRAPPIST-1 b à 12,8 µm. Ce deuxième point de mesure de la température permettra de contraindre d’avantage les modèles atmosphériques et ainsi de confirmer ou non le scénario proposé dans cette première étude.
Et les scientifiques ne comptent pas s’arrêter là ! Plusieurs demandes de temps viennent d’être déposées afin d’observer la courbe de phase (cf. Figure 5), c’est-à-dire suivre la luminosité émise par la planète au cours de sa course autour de son étoile et non plus juste lors de certaines positions (cf. Figure 3). On pourra ainsi mieux suivre l’évolution de la température côté jour et nuit vérifiant l’hypothèse de l’absence d’atmosphère redistribuant la chaleur. Un autre projet est de prendre un spectre de surface de TRAPPIST-1 b via l’instrument LRS de MIRI pour en connaitre sa composition.

La petite sœur TRAPPIST-1 c n’est pas en reste : Quatre éclipses secondaires de la planète ont été observées avec MIRIm à 15 microns. L’article a récemment été accepté et sortira très prochainement ! A suivre au prochain épisode…

« Tout juste un an après son lancement, le JWST nous ouvre déjà les portes des mondes inexplorés. J’ai si hâte de découvrir tout le travail pionnier qu’il va nous permettre d’accomplir dans les années, voire même dans les décennies à venir. J’ai l’impression de presque toucher du doigt une planète rocheuse comme Mercure ou Vénus mais située à presque 40 années-lumière de la Terre. C’est une chance inestimable ! »

S’émerveille Achrène Dyrek, en troisième année de thèse au DAp.

Auscultation d’un mini-Neptune : prise de température avec l’instrument MIRI du JWST

Découverte en 2009, l’exoplanète GJ1214b orbite autour d’une petite étoile située à seulement 40 années-lumière de nous. Avec une masse environ six fois supérieure à celle de la Terre et une atmosphère constituée d’hydrogène et d’hélium, elle est considérée comme un “mini-Neptune”.

Une équipe de la NASA, en collaboration avec des chercheurs du CEA Paris-Saclay, ont pointé le JWST vers la planète en utilisant l’instrument MIRI, réalisé par le CEA Paris-Saclay, durant une quarantaine d’heures. Cette observation inédite a permis d’obtenir pour la première fois la courbe de phase d’une exoplanète avec MIRI, c’est-à-dire le suivi complet de la rotation de la planète autour de son étoile.

 

Suivre ainsi l’évolution de l’émission du système exoplanète-étoile, a permis à l’équipe de chercheurs de déterminer la température de la planète avec une très bonne précision, à 9° près : 280°C côté jour et 164°C côté nuit. En comparant les observations aux modèles d’atmosphères, les chercheurs en déduisent que 1. Le faible écart de température entre les deux faces en dépit du fait que la planète soit en rotation synchrone signifie qu’il y un bon échange d’énergie entre les faces dû à une atmosphère dense. 2. La relative faible température côté jour au regard de la proximité de la planète à son étoile indique qu’une grande partie du rayonnement stellaire est réfléchie par une couche d’aérosols en haute atmosphère de l’exoplanète. Le type d’aérosol avec une telle propriété n’a pas encore pu être déterminé. 3. L’atmosphère contient beaucoup d’éléments plus lourds que l’hydrogène et l’hélium, probablement de l’eau en abondance.

 

Les résultats sont publiées dans la prestigieuse revue Nature.


Figure1 – Illustration comparant l’exoplanète sub-Neptune GJ 1214 b à la Terre et à Neptune, qui se situe entre les deux planètes en termes de rayon, de masse et de densité.
Crédit : NASA, ESA, CSA et D. Player (STScI)

 
GJ1214b est une exoplanète très intéressante à plusieurs titres :
   • Elle fait partie d’une classe d’exoplanètes dont nous n’avons pas d’équivalent dans le système solaire : les mini-Neptunes (8M⊕ et 2.7R⊕), très nombreuses dans notre galaxie ;
   • Elle est très proche de son étoile et en fait un tour complet en 37,9 heures ;
   • Elle est en rotation dite synchrone, ce qui veut dire qu’elle fait un tour sur elle-même pendant qu’elle fait un tour autour de son étoile. Elle présente donc toujours la même face à l’étoile. Par conséquent, il y a un côté jour chauffé par l’étoile et un côté nuit. Un exemple de rotation synchrone proche de nous est la Lune qui fait un tour sur elle-même pendant qu’elle fait un tour autour de la Terre, si bien que c’est toujours la même face de la Lune qui est vue de la Terre.

   • Elle est “transitante”, c’est-à-dire que nous pouvons observer depuis la Terre son passage devant l’étoile. Lorsqu’elle passe devant son étoile (transit), c’est son côté nuit qui nous fait face. Comme son orbite est circulaire, on peut aussi observer sa “disparition” derrière l’étoile (éclipse); juste avant et après l’éclipse, c’est son côté jour qui nous fait face. De plus, on peut suivre l’évolution de l’émission du système exoplanète-étoile en fonction de la position de l’exoplanète sur son orbite (voir Figure 2). La courbe décrivant l’évolution du signal en fonction du temps est appelé la courbe de phase.

Figure 2 – Schéma simplifié d’une courbe de phase d’exoplanète, soit le changement de la luminosité totale d’un système stellaire et des planètes lorsque la planète orbite autour de l’étoile. Le système apparaît plus lumineux lorsqu’une plus grande partie du côté éclairé de la planète fait face au télescope (phase complète) et devient plus sombre lorsque le côté sombre fait face au télescope (nouvelle phase).
Crédit : NASA, ESA, CSA, Danny Player (STScI)

 
Pour mieux comprendre la nature de cet objet, il est important de caractériser son atmosphère. Les premières observations avec le télescope spatial Hubble ont mis en évidence une couche d’aérosols en haute altitude, qui empêche de voir ce qui se passe en dessous.
 

Pour poursuivre la caractérisation de cette atmosphère, l’instrument MIRI du JWST était tout indiqué pour deux raisons :

  1. la lumière InfraRouge que détecte MIRI a la propriété de pouvoir traverser les nuages
  2. compte tenu de la température attendue (de l’ordre de 300°C) l’essentiel de la lumière émise par l’exoplanète se trouve dans le domaine Infrarouge détecté par MIRI.

Le JWST a été pointé sur le système GJ1214 pendant une quarantaine d’heures, un peu plus que le temps que met l’exoplanète pour faire un tour autour de son étoile. Le mode basse résolution spectrale de l’imageur MIRIm de l’instrument MIRI, réalisé au CEA Paris-Saclay, a été utilisé. La Figure 3 représente la courbe de phase ainsi obtenue. C’est l’observation continue d’une exoplanète la plus longue réalisée à ce jour avec le JWST et la première courbe de phase avec l’instrument MIRI du JWST. Le JWST conserve une stabilité remarquable sur cette échelle de temps permettant une telle prouesse.

 

Figure 3 – Courbe de phase en lumière blanche de GJ1214b obtenu avec l’instrument MIRIm du JWST.
a. Courbe de phase intégrée de 5-12 µm. On y voit clairement le transit et les deux éclipses aux phases orbitales 0.0 et ±0.5 respectivement. Les points noirs représentent les données et ceux en rouge, les données moyennées par segment de 5 degrés. La ligne noire est le meilleur modèle ajustant les observations.
b. Identique au panneau a, mais zoomé sur la modulation de phase de l’émission thermique de la planète. La ligne noire en pointillé indique le flux stellaire (supposé constant) en l’absence de toute émission de la planète.
c. Résidus des données binées du modèle astrophysique avec les barres d’erreur à 1?.
Crédit revue Nature : https://arxiv.org/abs/2305.06240

 La température côté jour a pu être déterminée : 280°C avec une très bonne précision (9°), ainsi que la température côté nuit : 164°C. La planète est chauffée par l’énergie lumineuse qu’elle reçoit de l’étoile du côté jour. La relative faible différence de température entre le côté jour et le côté nuit montre qu’il y a un bon échange d’énergie entre les 2 côtés grâce à l’atmosphère de la planète.
 

Un bilan énergétique de GJ1214b a pu être fait entre l’énergie lumineuse reçu de son étoile et l’énergie lumineuse émise par l’exoplanète. A partir de ce bilan, il a pu être montré qu’une grande partie de la lumière de l’étoile était réfléchie par la couche d’aérosols en haute atmosphère de l’exoplanète et ne participait pas au chauffage de l’exoplanète. Le type d’aérosol avec une telle propriété n’a pas encore pu être déterminé.

Autre information importante obtenue en comparant les observations avec les modèles qui calculent l’émission d’atmosphères : l’atmosphère contient beaucoup d’éléments plus lourds que l’hydrogène et l’Helium, probablement de l’eau en abondance. D’autres études sont nécessaires pour affiner les résultats. Mais il est fascinant de voir que grâce au JWST et notamment MIRI, on peut aller “ausculter” des mondes si éloignés de ceux que nous connaissons dans notre système solaire. 

Rendez-vous Galactique : II ZW 96, et Présidentiel

Cette image montre la fusion de galaxies au centre. Les noyaux des galaxies, colorés en bleu, sont au-dessous du centre. Ils sont entourées de flambées d’étoiles en rouge. On reconnaît la forme d’une magnifique spirale dans la galaxie du bas, mais déformée sous l’effet de la gravité de sa voisine avec laquelle elle est en interaction. On peut voir en arrière-plan de nombreuses galaxies minuscules qui sont bien plus éloignées que cette paire de galaxies.

 

L’image prise par le JWST montre une paire de galaxies qui fusionnent, connue par les astronomes sous le nom de II ZW 96. Ces galaxies sont à environ 500 millions d’années-lumière de la Terre et se trouvent dans la direction de la constellation du Dauphin, près de l’équateur céleste. En plus du tourbillon endiablé des galaxies qui fusionnent, on aperçoit sur le fond de cette image un bestiaire d’autres galaxies.

Les deux galaxies sont en train de fusionner et ont donc une forme chaotique et perturbée. Les cœurs brillants des deux galaxies sont reliés par des vrilles brillantes de régions de formation d’étoiles, et les bras spiralés de la galaxie inférieure ont été déformés par la perturbation gravitationnelle de la fusion des galaxies. Ce sont ces régions de formation d’étoiles qui ont fait de II ZW 96 une cible si tentante pour le JWST : la collision a provoqué une flambée d’étoiles d’une si puissante intensité que cette galaxie rayonne autant que 100 milliards de soleils dans le domaine des infrarouges lointains. D’où son appartenance à la classe des galaxies lumineuses infrarouges, connues sous l’acronyme de LIRG pour Luminous InfraRed Galaxies.

Cette observation est tirée d’une collection d’observations de galaxies lumineuses infrarouges et de la classe encore plus lumineuse, les galaxies “ultra-lumineuses” infrarouge (ULIRG).  Le JWST a utilisé deux de ses instruments de pointe : NIRCam  (la caméra infrarouge proche), et MIRI,  (la caméra infrarouge moyen développée en France).

Petite anecdote :  Cette nouvelle image du JWST a été présentée pour la première fois avec toutes les explications à l’appui, à la vice-président des Etats-Unis Kamala Harris et au président français Emmanuel Macron lors d’une visite au siège de la NASA à Washington mercredi 30 novembre 2022. La vice-président Harris et le président Macron ont également prévisualisé une toute nouvelle image composite des piliers de la création.

Une couronne de formation stellaire dans la galaxie NGC 7469

NGC 7469 est une galaxie spirale lumineuse, vue de face depuis la Terre, qui se trouve à environ 220 millions d’années-lumière de la Terre dans la constellation de Pégase. Son diamètre est d’environ 90 000 années-lumière. 

Cette galaxie spirale avait été étudiée récemment dans le cadre du Relevé astronomique des galaxies infrarouges lumineuses dans toutes les régions du ciel (Great Observatories All-sky LIRGs Survey, GOALS), réalisé avec les grands observatoires de la NASA. Il s’agit de quatre télescopes spatiaux lancés entre 1990 et 2003 : le Télescope Spatial Hubble (HST), l’Observatoire Compton des rayons gamma (CGRO), l’Observatoire Chandra pour les rayons-X (CXO), et le télescope Spatial Spitzer pour l’infrarouge (SST).  

Elle vient maintenant d’être observée par le JWST pour un programme « Diffusion Scientifique Anticipée » (Early Release Science, ERS #1328), qui vise à étudier la physique de la formation des étoiles, la croissance du trou noir et ses effets sur la formation d’étoiles (rétroaction) dans quatre galaxies infrarouges lumineuses proches.

NGC 7469 abrite un noyau galactique actif (AGN), qui est une région centrale extrêmement brillante dominée par la lumière émise par la poussière et le gaz lorsqu’il tombe dans le trou noir central de la galaxie. Cette galaxie offre aux astronomes l’occasion unique d’étudier la relation entre les AGN et l’activité de formation d’étoiles, car cet AGN est entouré d’une flambée d’étoiles qui prend la forme d’un anneau à un rayon de 1500 années-lumière autour de lui. Bien que NGC 7469 soit l’un des AGN les mieux étudiés dans le ciel, la nature compacte de ce système et la présence d’une grande quantité de poussière ont rendu difficile pour les scientifiques d’obtenir la résolution et la sensibilité nécessaires pour étudier cette relation dans l’infrarouge. Maintenant, avec le JWST, les astronomes peuvent explorer l’anneau stellaire de la galaxie, l’AGN central, et le gaz et la poussière entre les deux.

En utilisant les instruments MIRI, NIRCam et NIRSpec pour obtenir des images et des spectres de NGC 7469 dans des détails sans précédent, l’équipe de GOALS a découvert un certain nombre d’informations nouvelles sur cet objet. Cela comprend les très jeunes amas de formation d’étoiles jamais vus auparavant, ainsi que des poches de gaz moléculaire très chaud et turbulent, et des preuves directes de la destruction de petits grains de poussière dans un rayon de quelques centaines d’années-lumière autour du noyau. Ceci prouve que l’AGN a un impact sur le milieu interstellaire environnant. De plus, un gaz atomique hautement ionisé et diffus semble sortir du noyau à environ 6,4 millions de kilomètres à l’heure, ce qui fait partie d’un « vent galactique » qui avait déjà été identifié, mais qui est maintenant révélé avec le JWST avec des détails étonnants. Avec l’analyse des riches ensembles de données du JWST toujours en cours, d’autres secrets de ce laboratoire local où l’on peut étudier en détail la relation entre un noyau actif et les flambées d’étoiles (starburst) ne manqueront pas d’être bientôt dévoilés.

Cette image montre la galaxie spirale lumineuse NGC 7469, dominée par une région centrale brillante. La galaxie a des teintes bleu-violet avec des régions orange-rouge remplies d’étoiles.  

Beaucoup d’étoiles et de galaxies remplissent la scène de fond. Son compagnon, la galaxie IC 5283, est partiellement visible dans la partie inférieure gauche de cette image.

Une caractéristique marquante de cette image est l’étoile à six branches qui s’aligne parfaitement avec le cœur de NGC 7469. Contrairement à la galaxie, ce n’est pas un véritable objet céleste, mais un artefact d’imagerie connu sous le nom de pic de diffraction, causé par l’AGN brillant non résolu. Les pics de diffraction sont des motifs produits sous forme de courbures de lumière autour des bords tranchants d’un télescope. Le miroir principal du JWST est composé de segments hexagonaux qui contiennent chacun des bords contre lesquels la lumière peut se diffracter, donnant six pointes lumineuses. Il y a aussi deux pics plus courts et plus faibles, qui sont créés par diffraction de la jambe verticale qui aide à soutenir le miroir secondaire.

 

Cela indique que la source de lumière très puissante est ponctuelle, et confirme ainsi qu’il s’agit d’un noyau actif avec en son centre un trou noir supermassif.

Le James Webb

L’atmosphère d’une exoplanète révélée par le JWST (WASP39-b)

Le télescope spatial James Webb de la NASA/ESA/CSA a réalisé un nouveau portrait avec une précision inégalée de l’atmosphère de l’exoplanète WASP-39b, une “Saturne chaude” située à quelque 700 années-lumière. Les nouvelles observations sont si précises que les données fournissent même des signes de chimie active et de nuages, ajoutant le dioxyde de Sulfure au palmarès des gaz détectés dans l’atmosphère de la géante gazeuse.

Des télescopes au sol ainsi que spatiaux, tel que les télescopes Hubble et Spitzer, avaient unis leurs performances afin d’obtenir le spectre le plus complet de l’atmosphère possible avec la technologie de l’époque. De la vapeur d’eau (H20), du monoxyde de carbone (CO), du sodium (Na) et du potassium (K) ont ainsi pu être révélés (voir ici pour plus d’informations.)

Spectre obtenu grâce aux télescopes spatiaux Hubble et Spitzer. La ligne bleue représente le modèle atmosphérique qui ajuste au mieux les données – Crédit : NASA, ESA, G. Bacon and A. Feild (STScI), and H. Wakeford (STScI/Univ. of Exeter)

Avec l’arrivée de JWST, cette étude est rentrée dans une toute nouvelle ère, avec des observations dépassant considérablement les précédents relevés.

WASP-39b était l’une des premières cibles de l’observatoire spatiale. Observé par le puissant spectrographe NIRSpec, le dioxyde de carbone (C02) avait été détecté pour la première fois de manière sans équivoque dans l’atmosphère de la planète gazeuse (voir ici).

Récemment, le JWST a déployé ses autres instruments proche infrarouge permettant d’ajouter le dioxyde de soufre (S02) au palmarès des gaz détectés. Ce composé soufré serait produit dans l’atmosphère grâce à la photochimie, phénomène qui n’avait jusqu’à présent jamais été observé dans une exoplanète. 

Les spectres obtenus par les trois instruments proche infrarouge à bord du JWST, NIRSpec, NIRCam et NIRISS, informent les scientifiques sur la composition chimique de l’atmosphère de la géante gazeuse WASP-39 b – Crédit : NASA, ESA, CSA, J. Olmsted (STScI).

En haut à gauche, sur l’image ci-dessus, les données de NIRISS montrent les empreintes du potassium (K), de l’eau (H2O) et du monoxyde de carbone (CO). En haut à droite, les données de NIRCam montrent une signature d’eau importante. En bas à gauche, les données de NIRSpec indiquent la présence d’eau, de dioxyde de soufre (SO2), de dioxyde de carbone (CO2) et de monoxyde de carbone (CO). En bas à droite, des données supplémentaires de NIRSpec révèlent toutes ces molécules ainsi que du sodium (Na). La ligne bleue représente le modèle atmosphérique qui ajuste au mieux les données, informant sur la quantité des éléments chimiques détectées dans l’atmosphère.

« Le JWST nous permet de confirmer la présence de la vapeur d’eau, de sodium et potassium dans l’atmosphère de WASP39b avec une précision remarquable. Ces nouvelles données nous ont aussi permis de confirmer sans ambiguïté la présence du CO2, précédemment suggérée par nos modèles et des données des télescopes Hubble et Spitzer en 2018; mais aussi de détecter la présence du dioxyde de soufre, inattendue, démontrant pour la première fois que des phénomènes de photochimie sont à l’œuvre dans l’atmosphère d’une exoplanète. Ces résultats ouvrent la voie pour la détection future avec JWST d’autres molécules dans l’atmosphère des exoplanètes. »

affirme Pascal Tremblin, chercheur au CEA/Université Paris, auteur du code ATMO qui modélise les atmosphères des géantes gazeuses.

Le fait de disposer d’une liste aussi complète d’ingrédients chimiques dans l’atmosphère d’une exoplanète permet aux scientifiques d’avoir un aperçu de l’abondance des différents éléments les uns par rapport aux autres, comme les rapports carbone/oxygène ou potassium/oxygène. Cela permet de comprendre comment cette planète – et peut-être d’autres – s’est formée à partir du disque de gaz et de poussière entourant l’étoile hôte lors de sa formation.

Ces résultats ont enthousiasmé la communauté scientifique des exoplanètes car en plus d’informer quant à la composition d’une atmosphère d’une exoplanète, les données fournissent même des signes de chimie active et de nuages.

« Webb fonctionne à merveille et donne déjà des résultats super intéressants ; si le CO2 dans l’atmosphère de WASP39b était bien prédit, par exemple par le code ATMO, l’observation du SO2 a été une surprise et a nécessité le développement de modèles prenant en compte la photochimie. Je suis convaincu que Webb va aussi apporter son lot de surprises lors de l’observation de planètes rocheuses et je suis très impatient d’avoir les premières données sur Trappist1 b ! » s’enthousiasme Pierre-Olivier Lagage, astrophysicien au CEA, directeur du département d’Astrophysique au CEA/Irfu.

Le JWST suit les nuages de la plus grande lune de Saturne, Titan

Le JWST continue à surprendre par la qualité de ses observations. En binôme avec le télescope terrestre Keck situé à Hawaï, l’observatoire Webb a scruté l’évolution des nuages de Titan. Ce résultat fascinant mené par une équipe internationale ouvre de nouvelles perspectives quant à l’étude de la composition et de la dynamique complexe des gaz qui régit l’atmosphère de l’astre. Ces nouvelles données donnent des indices cruciaux pour déchiffrer pourquoi Titan est la seule lune du système solaire à posséder une atmosphère dense.

La plus grande lune de Saturne Titan, dont le diamètre est plus grand que la planète Mercure, présente des caractéristiques uniques par rapport aux autres lunes du Système solaire : elle est la seule à posséder une atmosphère dense et elle est le seul corps planétaire, autre que la Terre, à posséder des rivières, des lacs et des mers, non composés d’eau comme sur Terre, mais d’hydrocarbures, notamment de méthane et d’éthane.

L’atmosphère de Titan est si épaisse qu’elle empêche l’observation de sa surface en lumière visible. Il a fallu attendre la mission d’exploration spatiale du système saturnien Cassini (NASA/ESA) pour observer sa surface en 2004 grâce à sa caméra infrarouge, rayonnement capable de percer les épaisses brumes atmosphériques. Puis, en 2005, l’atterrisseur européen Huygens à bord de Cassini s’est posé à la surface de Titan et y a découvert une surface couverte de glace d’eau, de lacs d’hydrocarbures et de dunes de composés organiques (voir ici).
Dès lors, les scientifiques attendent avec impatience de pouvoir utiliser la vision infrarouge du JWST afin d’étudier l’atmosphère de Titan d’une part, en terme de composition chimique et dynamique (météorologique), et sa surface d’autre part, en analysant les caractéristiques de l’albédo (taches claires et sombres).

Le 4 novembre 2022, ce fut chose faite ! Les observations de Titan arrivèrent enfin dans les ordinateurs de chercheurs.

Le planétologue Sébastien Rodriguez de l’Institut de Physique du Globe de Paris à l’Université Paris Cité et co-responsable des observations, a été le premier à voir les images : “Quel réveil ce matin ! Beaucoup d’alertes dans ma boîte aux lettres ! Je suis allé directement à mon ordinateur et j’ai commencé tout de suite à télécharger les données. A première vue, c’est tout simplement extraordinaire ! Je crois que l’on voit un nuage !”

Images de Titan prises par l’instrument NIRCam du JWST le 4 novembre 2022.
L’image de gauche utilise un filtre sensible à la basse atmosphère de Titan. Les points brillants sont des nuages proéminents dans l’hémisphère nord. L’image de droite est une image composite en couleur. Plusieurs caractéristiques importantes de la surface sont marquées : Kraken Mare est considérée comme une mer de méthane ; Belet est composé de dunes de sable de couleur sombre ; Adiri est une région brillante (fort albédo). Crédit image : NASA, ESA, CSA, A. Pagan (STScI). Science : Équipe Webb Titan GTO.

Les images capturées par la caméra NIRCam, qui observe dans le proche infrarouge, montrent la présence de deux nuages dans l’hémisphère nord de Titan. La détection de tels nuages est cruciale pour valider les prédictions de longue date des modèles informatiques sur le climat de Titan, selon lesquelles les nuages se formeraient facilement dans l’hémisphère nord à la fin de l’été, lorsque la surface est réchauffée par le Soleil.

« L’atmosphère de Titan est incroyablement intéressante, non seulement en raison de ses nuages de méthane et de ses tempêtes, mais aussi pour ce qu’elle peut nous apprendre sur le passé et le futur de Titan – notamment s’il a toujours eu une atmosphère. Nous sommes absolument ravis des premiers résultats. » explique Conor Nixon, planétologue au Goddard Space Flight Center de la NASA et responsable de l’équipe Webb Titan.

Les scientifiques de l’équipe ont alors réalisé l’importance de suivre l’évolution de ces nuages dans le temps, vérifier s’ils se déplaçaient ou changeaient de forme, ce qui révélerait des informations sur la circulation de l’air dans l’atmosphère de Titan. Le soir même de la réception des données Webb, l’équipe a demandé du temps d’observation avec le télescope Keck, à Hawaï. Bien que déplacer des observations programmées de longue date ne soit jamais chose facile, les arguments d’un suivi rapide du Keck ont su convaincre les responsables du télescope.

« Les observations ont été un succès ! Nous craignions que les nuages aient disparu lorsque nous avons regardé Titan deux jours plus tard avec Keck, mais à notre grande joie, il y avait des nuages aux mêmes positions, semblant avoir changé de forme.”, commente Imke de Pater

 

Images de l’atmosphère et de la surface de Titan. A gauche, image capturée le 4 novembre 2022 par l’imageur NIRCam de Webb : Deux nuages (points brillants) sont remarqués dans l’hémisphère nord (notés A et B) ainsi qu’une tache sombre au milieu (notée « Belet »). A droite, image du télescope au sol Keck, avec l’instrument NIRC-2 capturée deux jours plus tard. Les trois caractéristiques sont dans les mêmes positions les uns par rapport aux autres, mais semblent s’être déplacés ou avoir tourné légèrement vers la droite. Le nuage A semble un peu plus grand que sur l’image Webb 30 heures auparavant, tandis que le nuage B semble se dissiper ou se déplacer derrière le limbe de Titan. Le « Belet » est maintenant plus proche du bord est de l’hémisphère visible. Crédit image : NASA, ESA, CSA, Observatoire W. M. Keck, A. Pagan (STScI). Science : Équipe Webb Titan GTO.

Comme sur Terre, les nuages ne durent pas longtemps sur Titan. Donc ceux vus le 4 novembre ne sont pas forcément les mêmes que ceux vus le 6 novembre. Juan Lora, expert en modélisation atmosphérique de l’université de Yale, remarque:

« Je suis heureux de voir cela, car nous avions prévu une bonne dose d’activité nuageuse pour cette saison ! Nous ne pouvons pas être sûrs que les nuages des 4 et 6 novembre sont les mêmes, mais ils confirment les modèles météorologiques saisonniers. »

Le plus excitant reste toutefois à venir. En effet, l’équipe de scientifique a également recueilli des spectres avec le spectrographe NIRSpec de Webb actuellement en cours d’analyse, et en mai ou juin 2023, Titan sera de nouveau observé avec NIRCam et NIRSpec, ainsi que MIRI. Ces données révéleront une partie encore plus grande du spectre de Titan, inaccessibles aux télescopes terrestres à cause de l’atmosphère terrestre qui est opaque à ces longueurs d’onde, et avec une telle précision que même la sonde Cassini n’a pas pu réaliser.  En outre, ces observations permettront de préparer la future mission de la NASA :

« Suivre l’évolution de l’atmosphère de Titan au cours du temps est également très important pour préparer la mission Dragonfly de la NASA. Ce drone ultra sophistiqué se posera à la surface de Titan, un an saturnien après son prédécesseur Huygens, soit en 2034. Sa mission sera d’explorer la surface, notamment sa chimie organique complexe et le cycle du méthane. » précise Léa Bonnefoy, chercheuse à l’Observatoire de Paris (LERMA) spécialiste des lunes de Saturne.

Le JWST découvre un nœud cosmique dense dans l’univers primitif

Ces dernières années, les observations depuis le sol dans les domaines visible et proche infrarouge utilisant des IFU (spectrographe à intégrale de champ, qui combine spectroscopie et imagerie de façon à obtenir des spectres résolus spatialement, chaque pixel produisant un spectre ; voir : Spectrographe à intégrale de champ — Wikipédia (wikipedia.org) ) ont révolutionné l’astronomie extragalactique. La sensibilité infrarouge sans précédent, la résolution spatiale et la couverture spectrale de cette nouvelle technique d’observation, font que les IFU embarqués sur le JWST (NIRSpec et MIRI) nous laissent présager de résultats scientifiques inespérés, pour un large éventail de phénomènes extragalactiques (p. ex., quasars, sursauts de formation d’étoile, supernovae, sursauts de rayons gamma) et en-deçà (p. ex., nébuleuses, disques de débris autour d’étoiles brillantes).

Un quasar, un type spécial de noyau galactique actif (AGN), est une région compacte avec un trou noir supermassif au centre d’une galaxie. Le gaz qui tombe dans un trou noir supermassif rend le quasar assez brillant pour éclipser toutes les étoiles de la galaxie.

Les quasars sont d’un grand intérêt scientifique car ils sont considérés comme le principal moteur de la régulation de la croissance massive des galaxies. Ainsi, il nous est permis d’augurer que le JWST va révolutionner notre compréhension de la co-évolution trou noir-galaxie en nous permettant de sonder les composants stellaires, gazeux et poussiéreux des galaxies proches et lointaines, spatialement et spectralement.

Grâce aux performances extraordinaire du JWST, les astronomes qui étudient l’univers primitif ont fait une découverte surprenante : un amas de galaxies massives en train de se former autour d’un quasar extrêmement rouge. Ce résultat élargira notre compréhension de la façon dont les amas de galaxies dans l’univers primitif se sont réunis et ont formé le réseau cosmique que nous voyons aujourd’hui.

Le JWST a en effet permis de découvrir un nœud cosmique dense dans l’univers primitif. Le quasar exploré, appelé SDSS J165202.64+172852.3, existait il y a 11,5 milliards d’années. Il est exceptionnellement rouge non seulement en raison de sa couleur rouge intrinsèque, mais aussi parce que la lumière de la galaxie a été décalée vers le rouge de par sa grande distance, ce qui fait que le JWST est parfaitement adapté pour examiner la galaxie en détail.

À gauche, le quasar SDSS J165202.64+172852.3 est mis en évidence dans une image du télescope spatial Hubble prise en lumière visible et infrarouge proche. Les images de droite et de bas présentent de nouvelles observations du JWST en plusieurs longueurs d’onde. Ils montrent la distribution et les mouvements du gaz dans un amas de galaxies nouvellement observé autour du quasar central. Sources : NASA, ESA, CSA, STScI, D. Wylezalek (Université de Heidelberg), A. Vayner et N. Zakamska (Université Johns Hopkins) et l’équipe Q-3D

Ce quasar est l’un des plus puissants noyaux galactiques connus qui a été vu à une telle distance. Les astronomes avaient émis l’hypothèse que l’émission extrême du quasar pouvait provoquer un « vent galactique », poussant le gaz libre hors de sa galaxie hôte et pouvant influencer grandement la formation future d’étoiles.

Pour étudier le mouvement du gaz, de la poussière et de la matière stellaire dans la galaxie, l’équipe Q-3D a utilisé le spectrographe NIRSpec du JWST. Cet instrument permet d’observer le mouvement des courants et des vents qui entourent le quasar. NIRSpec peut simultanément rassembler des spectres à travers tout le champ de vision du télescope, au lieu de simplement un point à la fois, permettant d’examiner simultanément le quasar, sa galaxie et l’environnement plus large.

Des études antérieures menées par le télescope spatial Hubble et d’autres observatoires au sol avaient attiré l’attention sur des jets de gaz intenses émis par le quasar, et les astronomes avaient émis l’hypothèse que la galaxie hôte pourrait fusionner avec un partenaire invisible. Mais l’équipe ne s’attendait pas à ce que les données NIRSpec indiquent clairement qu’il ne s’agissait pas d’une seule galaxie, mais d’au moins trois autres autour. Grâce aux spectres sur une vaste zone, les mouvements de tout ce matériel environnant ont pu être cartographiés, ce qui a permis de conclure que le quasar rouge faisait en fait partie d’un nœud dense de formation de galaxie.

Le quasar SDSS J165202.64+172852.3 vu par le JWST (NASA/ESA/CSA) : cette image illustre  la distribution du gaz autour de l’objet.

 

Les trois galaxies confirmées tournent l’une autour de l’autre à des vitesses incroyablement élevées, ce qui indique qu’une grande quantité de masse est présente. Lorsqu’on les combine à la proximité de la région autour de ce quasar, l’équipe croit que cela marque l’une des zones de formation de galaxies les plus denses connues dans l’univers primitif.

Dominika Wylezalek, de l’université de Heidelberg en Allemagne, qui dirige cette étude nous explique:

“Même un nœud dense de matière noire ne suffit pas à l’expliquer. Nous pensions que nous pourrions voir une région où deux halos massifs de matière noire fusionnent. La matière noire est un composant invisible de l’univers qui maintient les galaxies et les amas de galaxies ensemble, et on pense qu’elle forme un « halo » qui s’étend au-delà des étoiles dans ces structures. Il y a peu de protoamas de galaxies connus à ce stade précoce. Il est difficile de les trouver, et très peu ont eu le temps de se former depuis le big bang. Cela pourrait nous aider à comprendre comment évoluent les galaxies dans les environnements denses. C’est un résultat passionnant”

Partie prenante et très active dans cette collaboration Q-3D, une chercheuse française, Nicole Nesvadba de l’Observatoire de la Côte d’Azur nous fait part, elle aussi de ses réactions :

Ces données montrent très bien la puissance de la spectro-imagerie que nous offre le JWST. C’est la combinaison de la très haute resolution spatiale, qui nous permet de bien localiser les différentes composantes de cette source, et de leur mouvement relatif, qui étaient essentielles pour comprendre de quel type d’objet il s’agissait. Seulement la spectro-imagerie est capable de nous donner toutes ces informations à la fois. Nous attendons maintenant avec impatience le deuxième jeu de données de spectro-imagerie de cet objet, qui sera observé avec MIRI. En ce qui concerne l’argument sur le proto-ama, nous avons à la fois plusieurs galaxies autour du QSO (nous savons qu’il s’agit des galaxies puisqu’il y a du continu stellaire, et donc des masses stellaires considérables), et aussi des grands décalages de vitesse entre ces galaxies. Le nombre de sources nous montre qu’il ne peut pas s’agir d’une superposition des galaxies qui ne sont pas reliées gravitationnellement (ce serait trop improbable de trouver plusieurs galaxies par hasard aussi proche d’une seule ligne de visée). La grande dispersion de vitesse entre les spectres que nous observons avec des décalages vers le rouge (“redshifts” en Anglais, terme communément adopté par la communauté scientifique) des différentes galaxies est le signe d’un halo de matière noire très massif (sinon, les vitesses seraient moindres), ce qui est typique pour des proto-amas en formation à ces grands décalages vers le rouge de la lumière du fait de l’expansion de l’univers. On connaît quelques autres structures aussi massives pendant la même époque, mais ils sont en effet très, très rares. Bien entendu, comme Dominika l’a dit, il s’agit vraiment d’une surprise, parce que nous avions uniquement voulu observer le QSO, sans trop nous poser des questions sur son environnement.

L’étude menée par cette équipe est partie intégrante des investigations prioritaires du JWST sur l’univers primitif. Avec sa capacité sans précédent à remonter le temps, le télescope est déjà utilisé pour étudier comment les premières galaxies se sont formées et ont évolué, et comment les trous noirs se sont formés et ont influencé la structure de l’univers. L’équipe planifie des observations de suivi dans ce proto-amas inattendu de galaxies, et espère l’utiliser pour comprendre comment les amas de galaxies denses et chaotiques comme celui-ci se forment, et comment il est affecté par le trou noir actif et supermassif en son cœur.

Le JWST dresse un magnifique portrait étoilé des piliers de la création

Beaucoup l’attendaient! La voilà maintenant. Le JWST a révélé, mercredi 19 octobre, son premier cliché des « Piliers de la création », plus détaillé que jamais auparavant.

Ces impressionnantes structures de gaz et de poussière, regorgeant d’étoiles en formation, sont situées à 6 500 années-lumière avaient été imagées pour la première fois en 1995 par le HST (Hubble Space Telescope), dans la grande nébuleuse de l’Aigle. Leur photographie est l’une des plus connues de toutes celles fournies par ce télescope et a parcouru des milliers de page sur la toile. 

La vision de ces fameux piliers est totalement différente selon que l’on la regarde dans la lumière visible ou infrarouge (d’où l’intérêt extraordinaire du JWST).  Dans la lumière visible (à droite), toutes les étoiles en gestation sont enfouies dans une enveloppe de poussières. Elles apparaisent lorsque l’on observe dans l’infrarouge (voir image ci-dessous: à gauche image dans les longueurs d’onde du domaine visible obtenue avec le HST, à droite celle obtenue avec l’instrument NIRCam au JWST.

Le JWST a en effet capturé un paysage luxuriant et très détaillé des emblématiques piliers de la création, où de nouvelles étoiles se forment dans des nuages denses de gaz et de poussière. Les piliers tridimensionnels ressemblent à de majestueuses formations rocheuses, mais sont beaucoup plus perméables. Ces colonnes sont constituées de gaz interstellaires frais et de poussière qui apparaissent parfois semi-transparents dans le proche infrarouge.
Cette nouvelle vision des Piliers de la Création, extrêmement célèbre par les images obtenues par le HST, aidera les chercheurs à repenser leurs modèles de formation stellaire en identifiant des comptages d’étoiles nouvellement formées, en fonction de la production de gaz et de poussières dans la région. Au fil du temps, ils commenceront à mieux comprendre comment les étoiles se forment lorsque leurs embryons soudainement émergent au sein d’un nuage moléculaire (Gaz et poussières confondus), avant de prendre naissance au sein de ces nuages poussiéreux pendant des millions d’années. 

Le JWST parvient à voir à travers l’opacité des piliers et révèle ainsi de nombreuses étoiles en formation. Il s’agit, sur l’image ci-dessous, des “boules” rouges à l’extrémité de plusieurs piliers. Ces « jeunes étoiles projettent périodiquement des jets supersoniques qui entrent en collision avec les nuages de matière, comme ces épais piliers ».

Quand des nœuds avec une masse suffisante se forment dans les piliers, ils commencent à s’effondrer sous leur propre gravité, se réchauffent lentement, et finalement commencent à fortement briller. Le long des bords des piliers nous découvrons des lignes ondulées qui ressemblent à de la lave. Ce sont des éjections d’étoiles qui sont encore en formation. Les jeunes étoiles projettent périodiquement des jets qui peuvent interagir dans les nuages de matière, comme ces épais piliers de gaz et de poussière. Il en résulte parfois des chocs “d’étrave”, qui peuvent former des motifs ondulés comme le fait un bateau lorsqu’il se déplace dans l’eau. On estime que ces jeunes étoiles n’ont que quelques centaines de milliers d’années et continueront de se former pendant des millions d’années. Bien qu’il puisse sembler que la lumière proche infrarouge ait permis au JWST de “percer” le fond pour révéler de grandes distances cosmiques au-delà des piliers, le milieu interstellaire se dresse sur le chemin, comme un rideau tiré. C’est aussi la raison pour laquelle il n’y a pas de galaxies lointaines dans cette vue. Cette couche translucide de gaz bloque notre vision de l’univers plus profond. De plus, la poussière est illuminée par la lumière collective de la « fête » remplie d’étoiles qui se sont libérées des piliers. C’est comme se tenir dans une pièce bien éclairée et regarder par une fenêtre – la lumière intérieure se reflète sur la vitre, obscurcissant la scène à l’extérieur et, à son tour, éclairant l’activité de la fête à l’intérieur. Cette nouvelle vision des piliers de la création aidera les chercheurs à repenser les modèles de formation stellaire.

L’instrument NIRCam a été construit par une équipe de l’Université de l’Arizona et le Centre de Technologie Avancée de Lockheed Martin.

Credits:

SCIENCE: NASA, ESA, CSA, STScI
IMAGE PROCESSING: Joseph DePasquale (STScI), Anton M. Koekemoer (STScI), Alyssa Pagan (STScI)

MIRI nous délivre une nouvelle image saisissante d’une paire d’étoiles WR.

Une nouvelle image du JWST révèle une vision cosmique remarquable : au moins 17 anneaux de poussière concentriques éjectés d’une paire d’étoiles. Situé à un peu plus de 5000 années-lumière de la Terre, le duo est collectivement connu sous le nom de Wolf-Rayet 140. Chaque anneau a été créé lorsque les deux étoiles se sont rapprochées et leurs vents stellaires (courants de gaz qu’ils soufflent dans l’espace) se sont rencontrés, comprimant le gaz et formant de la poussière. Les orbites des étoiles les rassemblent environ tous les 7,93 ans ; comme les anneaux du tronc d’un arbre, les boucles de poussière marquent le passage du temps.

Une étoile Wolf-Rayet est une étoile de type O (donc très chaude en sa superficie) née avec une masse d’au moins 25 fois plus que notre Soleil qui approche de la fin de sa vie. Elle s’effondrera d’après les théories en vigueur et communément acceptées, et explosera en supernova, donnant naissance à un trou noir. Ces retards entre les périodes de production de poussières créent un schéma circulaire unique. Certaines binaires Wolf-Rayet dans lesquelles les étoiles sont suffisamment rapprochées produisent de la poussière en continu, formant souvent un motif de roue d’épingle.

En plus de la sensibilité globale du JWST, il convient de souligner que l’instrument MIRI (à forte connotation Française à travers le CEA sous l’égide du CNES) est particulièrement qualifié pour étudier les anneaux de poussière. Ces anneaux sont également appelés coquilles par les astronomes parce qu’ils sont plus épais et plus large qu’ils apparaissent dans l’image.

Le spectromètre de MIRI a révélé la composition de la poussière. Une étoile de Wolf-Rayet génère des vents puissants qui poussent d’énormes quantités de gaz dans l’espace. L’étoile Wolf-Rayet dans cette paire particulière peut avoir perdu plus de la moitié de sa masse originale par ce processus.

Transformer le gaz en poussière, c’est un peu comme transformer la farine en pain. Cela nécessite des conditions et des ingrédients spécifiques. L’hydrogène, l’élément le plus commun dans les étoiles, ne peut pas former de poussière par lui-même. Mais parce que les étoiles Wolf-Rayet perdent tellement de masse, elles éjectent aussi des éléments plus complexes généralement trouvés profondément dans l’intérieur d’une étoile, y compris le carbone. Les éléments lourds dans le vent refroidissent en voyageant dans l’espace et sont ensuite compressés où les vents des deux étoiles se rencontrent, comme lorsque deux mains pétrissent la pâte.

Certains autres systèmes Wolf-Rayet forment de la poussière, mais aucun n’est connu pour faire des anneaux comme Wolf-Rayet 140. Le motif d’anneau unique se forme parce que l’orbite de l’étoile Wolf-Rayet 140 est allongée, et non pas circulaire. Ce n’est que lorsque les étoiles se rapprochent – à peu près à la même distance entre la Terre et le Soleil – et que leurs vents entrent en collision que le gaz sous une pression suffisante forme des poussières. Avec des orbites circulaires, les binaires Wolf-Rayet peuvent produire de la poussière en continu.

L’arrière-plan de cette image de l’étoile Wolf-Rayet 140 est noir. Une paire d’étoiles brillantes domine le centre de l’image, avec au moins 17 anneaux de poussière concentriques rose-orange. Tout au long de la scène nous pouvons apercevoir une gamme de galaxies lointaines, dont la majorité sont très minuscules et rouges, qui apparaissent comme des taches sur le fond du ciel.

L’élément le plus commun trouvé dans les étoiles, l’hydrogène, ne peut pas former de poussière par lui-même. Mais les étoiles Wolf-Rayet dans leurs derniers stades ont emporté tout leur hydrogène. Elles peuvent donc éjecter des éléments typiquement trouvés profondément dans l’intérieur de l’étoile, comme le carbone, l’oxygène, le silicium etc.. qui peuvent former de la poussière. Les données du spectromètre à moyenne résolution (MRS) de MIRI montrent que la poussière produite par WR 140 est probablement constituée d’une classe de molécules appelées hydrocarbures aromatiques polycycliques (PAH), qui sont un type de carbone organique , en fait des composés riches qui sont pensés enrichir la teneur en carbone dans tout l’Univers.

Le traitement initial des données de WR 140 comprenait huit “pointes” lumineuses de lumière émanant du centre de l’image. Ce ne sont pas des caractéristiques du système, mais des artefacts du télescope lui-même. Elles ont été supprimées de l’image, afin de produire une vue spectaculaire de la scène digne des meilleurs scénarios de science-fiction. .

Crédit NASA/ESA/CSA/STScI/JPL-Caltech

Il est toujours bon de souligner que plusieurs chercheurs français font non seulement partie de l’équipe qui a soumis ce programme d’observation, mais qui ont été partie prenante dans les analyses et les publications.

Ainsi, Anthony Soulain, de l’Université de Grenoble, co-auteur de l’article, et moteur de cette recherche nous exprime son sentiment avec des détails aussi précieux que rares (que nul lecteur français ou autres ne trouveront sur les sites de la NASA). 

“L’arrivée du JWST ouvre des portes jusque là insoupçonnées. Je travaille sur ces objets depuis maintenant 6 ans, et j’avoue que personne  ne croyait pouvoir voir à l’image aux 17 anneaux. Pour ma part, j’ai travaillé sur le modèle géométrique de cet objet lorsque j’étais à Sydney, et nous avions prédit une telle signature à partir de données obtenues à travers le monde sur les 20 dernières années. Donc lorsqu’on a « collé » le modèle sur les données JWST, c’était juste WOW!!!

Sur les aspects MIRI et l’infrarouge moyen, la sensibilité offerte par le JWST permet d’imaginer des projets beaucoup plus ambitieux. Dans l’idée, on voudrait observer l’ensemble des Wolf-Rayet productrice de poussières, en dresser le portait chimique et comprendre comment ces dernières enrichissent les Galaxies. On est au début de quelque chose, et l’ensemble des instruments actuels et futurs nous aideront pour retracer l’origine des briques élémentaires nécessaires pour forger les planètes, et tout ce qui en découle. Car c’est là l’élément phare de ces étoiles monstres Wolf-Rayet:  elles pourraient être  responsables d’une part non négligeable de la poussière (petit agrégat de matière mesurant quelque dizaine de nanomètres jusqu’à plusieurs microns) dans les galaxies, et oui rien que ça.
 
Ensuite, dans le cadre du projet Wolf-Rayet Dusters, qui a permis d’explorer les premieres données JWST, nous avons également accès à un petit sous-système nommé SAM (Sparse Aperture Masking) sur l’instrument canadien NIRISS. Ce mode nous offre en fait le premier accès scientifique à l’interférométrie spatiale. On connait l’interférométrie depuis longtemps, où l’on peut combiner plusieurs télescopes et obtenir l’information correspondante à la plus grande separation entre ces télescopes: un super télescope en quelque sorte. C’est d’ailleurs la seule et unique technique qui permet d’obtenir des images à très haute résolution angulaire. Même le JWST ou le future ELT de l’Observatoire Européen (ESO) fait moins bien. C’est cette technique qui a permis (dans le domaine des ondes radio) d’obtenir la fameuse image du trou noir au centre de la Voie Lactée.
 
Bref, avec SAM (oui c’est un nom plutôt AMIcal** 🙂) , on a ajouté une petite plaquette trouée (7 petites ouvertures pour être précis) sur le chemin de lumière du JWST pour recréer artificiellement un mini interféromètre. Et ce petit mode est réellement prometteur, on travail actuellement sur des données SAM concernant un système similaire à WR140 (WR137), et la précision, la sensibilité et la robustesse est sans commune mesures avec ce qu’on peut faire depuis le sol. En étant en charge du logiciel de réduction de données de ce « petit »  mode, je pense qu’on va avoir beaucoup de travail dans les années à venir et beaucoup de jolies choses à découvrir: des petites planètes très proches de leurs étoiles, des coeurs actifs de Galaxie, des disques et autre spirale de poussière autour d’étoiles, et bien d’autres. La France à une histoire toute particulière avec interférométrie, c’est quand même l’illustre français Antoine Labeyrie qui a mis au point cette technique dans le sud de la France dans les années 70. Et depuis, la France a fait perdurer cet heritage en construisant ou participant aux instruments interférométriques les plus performants du globe (MIDI, AMBER, PIONIER, GRAVITY, MATISSE…). Avec l’interférométrie dans l’espace et le JWST, c’est une nouvelle page qui s’ouvre et j’espère que la communauté française et moi-même y prendront part entièrement.
 
**AMI est l’abréviation anglaise pour Aperture Masking Interferometry, ou en bon français: interférométrie à masque d’ouverture.”

Astrid Lambers, de l’observatoire de la Côte d’Azur, participe aussi de ce programme. Elle renchérit:

Ca fait tellement longtemps qu’on a attendu ces images! Je suis co-I de ces observations parce que j’ai participé à la proposition (en 2017!) quand Ryan Lau et moi-même étions tous les deux postdocs à Caltech. L’attente  a été très longue entre l’acceptation de la proposition (en 2018 je crois) et ces images fabuleuses. 

D’autres observations de binaires WR ont déjà eu lieu, et à terme on veut vraiment comprendre comment ces objects contribuent au bilan global de la poussière dans l’Univers. Les WR produisent la poussière très rapidement après leur formation, en comparaison avec les étoiles AGB, donc ça peut avoir un impact important sur l’Univers jeune. 

L’image MIRI est bluffante. On a construit la proposition avec l’idée d’observer quelques arcs de poussière, et on en observe 17! Ca veut dire qu’on remonte 130 ans en arriere quand on regarde le dernier arc. Et pendant 130 ans la poussière se forme de façon repetitive et se propage sans être perturbée par les vents déjà présents et le milieu interstellaire. Je ne m’attendais pas à quelquechose d’aussi “propre”, mais plus turbulent.

Moralité: nos chercheurs français sont à la pointe dans tous les domaines! Cocoricooo! 

JWST