Le JWST suit les nuages de la plus grande lune de Saturne, Titan

Le JWST continue à surprendre par la qualité de ses observations. En binôme avec le télescope terrestre Keck situé à Hawaï, l’observatoire Webb a scruté l’évolution des nuages de Titan. Ce résultat fascinant mené par une équipe internationale ouvre de nouvelles perspectives quant à l’étude de la composition et de la dynamique complexe des gaz qui régit l’atmosphère de l’astre. Ces nouvelles données donnent des indices cruciaux pour déchiffrer pourquoi Titan est la seule lune du système solaire à posséder une atmosphère dense.

La plus grande lune de Saturne Titan, dont le diamètre est plus grand que la planète Mercure, présente des caractéristiques uniques par rapport aux autres lunes du Système solaire : elle est la seule à posséder une atmosphère dense et elle est le seul corps planétaire, autre que la Terre, à posséder des rivières, des lacs et des mers, non composés d’eau comme sur Terre, mais d’hydrocarbures, notamment de méthane et d’éthane.

L’atmosphère de Titan est si épaisse qu’elle empêche l’observation de sa surface en lumière visible. Il a fallu attendre la mission d’exploration spatiale du système saturnien Cassini (NASA/ESA) pour observer sa surface en 2004 grâce à sa caméra infrarouge, rayonnement capable de percer les épaisses brumes atmosphériques. Puis, en 2005, l’atterrisseur européen Huygens à bord de Cassini s’est posé à la surface de Titan et y a découvert une surface couverte de glace d’eau, de lacs d’hydrocarbures et de dunes de composés organiques (voir ici).
Dès lors, les scientifiques attendent avec impatience de pouvoir utiliser la vision infrarouge du JWST afin d’étudier l’atmosphère de Titan d’une part, en terme de composition chimique et dynamique (météorologique), et sa surface d’autre part, en analysant les caractéristiques de l’albédo (taches claires et sombres).

Le 4 novembre 2022, ce fut chose faite ! Les observations de Titan arrivèrent enfin dans les ordinateurs de chercheurs.

Le planétologue Sébastien Rodriguez de l’Institut de Physique du Globe de Paris à l’Université Paris Cité et co-responsable des observations, a été le premier à voir les images : “Quel réveil ce matin ! Beaucoup d’alertes dans ma boîte aux lettres ! Je suis allé directement à mon ordinateur et j’ai commencé tout de suite à télécharger les données. A première vue, c’est tout simplement extraordinaire ! Je crois que l’on voit un nuage !”

Images de Titan prises par l’instrument NIRCam du JWST le 4 novembre 2022.
L’image de gauche utilise un filtre sensible à la basse atmosphère de Titan. Les points brillants sont des nuages proéminents dans l’hémisphère nord. L’image de droite est une image composite en couleur. Plusieurs caractéristiques importantes de la surface sont marquées : Kraken Mare est considérée comme une mer de méthane ; Belet est composé de dunes de sable de couleur sombre ; Adiri est une région brillante (fort albédo). Crédit image : NASA, ESA, CSA, A. Pagan (STScI). Science : Équipe Webb Titan GTO.

Les images capturées par la caméra NIRCam, qui observe dans le proche infrarouge, montrent la présence de deux nuages dans l’hémisphère nord de Titan. La détection de tels nuages est cruciale pour valider les prédictions de longue date des modèles informatiques sur le climat de Titan, selon lesquelles les nuages se formeraient facilement dans l’hémisphère nord à la fin de l’été, lorsque la surface est réchauffée par le Soleil.

« L’atmosphère de Titan est incroyablement intéressante, non seulement en raison de ses nuages de méthane et de ses tempêtes, mais aussi pour ce qu’elle peut nous apprendre sur le passé et le futur de Titan – notamment s’il a toujours eu une atmosphère. Nous sommes absolument ravis des premiers résultats. » explique Conor Nixon, planétologue au Goddard Space Flight Center de la NASA et responsable de l’équipe Webb Titan.

Les scientifiques de l’équipe ont alors réalisé l’importance de suivre l’évolution de ces nuages dans le temps, vérifier s’ils se déplaçaient ou changeaient de forme, ce qui révélerait des informations sur la circulation de l’air dans l’atmosphère de Titan. Le soir même de la réception des données Webb, l’équipe a demandé du temps d’observation avec le télescope Keck, à Hawaï. Bien que déplacer des observations programmées de longue date ne soit jamais chose facile, les arguments d’un suivi rapide du Keck ont su convaincre les responsables du télescope.

« Les observations ont été un succès ! Nous craignions que les nuages aient disparu lorsque nous avons regardé Titan deux jours plus tard avec Keck, mais à notre grande joie, il y avait des nuages aux mêmes positions, semblant avoir changé de forme.”, commente Imke de Pater

 

Images de l’atmosphère et de la surface de Titan. A gauche, image capturée le 4 novembre 2022 par l’imageur NIRCam de Webb : Deux nuages (points brillants) sont remarqués dans l’hémisphère nord (notés A et B) ainsi qu’une tache sombre au milieu (notée « Belet »). A droite, image du télescope au sol Keck, avec l’instrument NIRC-2 capturée deux jours plus tard. Les trois caractéristiques sont dans les mêmes positions les uns par rapport aux autres, mais semblent s’être déplacés ou avoir tourné légèrement vers la droite. Le nuage A semble un peu plus grand que sur l’image Webb 30 heures auparavant, tandis que le nuage B semble se dissiper ou se déplacer derrière le limbe de Titan. Le « Belet » est maintenant plus proche du bord est de l’hémisphère visible. Crédit image : NASA, ESA, CSA, Observatoire W. M. Keck, A. Pagan (STScI). Science : Équipe Webb Titan GTO.

Comme sur Terre, les nuages ne durent pas longtemps sur Titan. Donc ceux vus le 4 novembre ne sont pas forcément les mêmes que ceux vus le 6 novembre. Juan Lora, expert en modélisation atmosphérique de l’université de Yale, remarque:

« Je suis heureux de voir cela, car nous avions prévu une bonne dose d’activité nuageuse pour cette saison ! Nous ne pouvons pas être sûrs que les nuages des 4 et 6 novembre sont les mêmes, mais ils confirment les modèles météorologiques saisonniers. »

Le plus excitant reste toutefois à venir. En effet, l’équipe de scientifique a également recueilli des spectres avec le spectrographe NIRSpec de Webb actuellement en cours d’analyse, et en mai ou juin 2023, Titan sera de nouveau observé avec NIRCam et NIRSpec, ainsi que MIRI. Ces données révéleront une partie encore plus grande du spectre de Titan, inaccessibles aux télescopes terrestres à cause de l’atmosphère terrestre qui est opaque à ces longueurs d’onde, et avec une telle précision que même la sonde Cassini n’a pas pu réaliser.  En outre, ces observations permettront de préparer la future mission de la NASA :

« Suivre l’évolution de l’atmosphère de Titan au cours du temps est également très important pour préparer la mission Dragonfly de la NASA. Ce drone ultra sophistiqué se posera à la surface de Titan, un an saturnien après son prédécesseur Huygens, soit en 2034. Sa mission sera d’explorer la surface, notamment sa chimie organique complexe et le cycle du méthane. » précise Léa Bonnefoy, chercheuse à l’Observatoire de Paris (LERMA) spécialiste des lunes de Saturne.