La piste de l’ammoniac mène aux exoplanètes

Le consortium de laboratoires qui a développé l’instrument MIRI du JWST bénéficie de temps garanti d’observations. Le Département d’Astrophysique du CEA qui fait partie du consortium a défini et coordonne le programme d’observations des exoplanètes. Parmi les objets sélectionnés, quelques naines brunes qui sont d’excellents proxy pour étudier les exoplanètes géantes, notamment celles qui orbitent loin de leur étoile, bien plus loin que les planètes de notre système solaire. En effet les processus physiques et chimiques qui régissent les naines brunes sont très semblables. Les premiers résultats concernant la naine brune froide W1828 viennent d’être publiés dans la revue Nature. En pointant le télescope spatial James Webb (JWST) vers cet objet, une équipe de chercheurs incluant des chercheurs du DAp-AIM, a pu mesurer avec l’instrument MIRI et, pour la première fois, les isotopologues de l’ammoniac dans l’atmosphère d’une naine brune froide, ouvrant la voie vers une meilleure compréhension de la formation des exoplanètes

Ces résultats ont été publiée dans la prestigieuse revue Nature.

Les Naines Brunes, ces astres entre planètes et étoiles

Figure 1 – Illustration d’artiste de la naine brune froide WISE J1828, montrant les molécules d’eau (H20), de méthane (CH4) et d’ammoniac (NH3) détectées dans le spectre obtenu avec le JWST. 

Crédit ETH Zurich / Polychronis Patapis

 

Les naines brunes sont des corps célestes situés à la frontière entre les étoiles et les planètes. Leur masse est insuffisante pour amorcer la fusion thermonucléaire de l’hydrogène en leur cœur, comme le font les étoiles, mais suffisante pour amorcer la fusion du deutérium, contrairement aux planètes. À bien des égards, ces astres ressemblent à des planètes géantes gazeuses, ce qui en fait d’excellents laboratoires pour l’étude des exoplanètes.

 

La naine brune WISE J1828 se trouve à 32,5 années-lumière de la Terre, dans la constellation de la Lyre. Son rayon n’est supérieur que d’un tiers à celui de Jupiter, pour une masse 15 fois plus grande. Avec une température de surface de seulement 100 degrés Celsius, elle fait partie de la classe spectrale Y, dont les atmosphères sont dominées par l’absorption de l’eau, du méthane et de l’ammoniac. À ces températures, l’émission lumineuse de ces naines brunes culmine dans l’infrarouge moyen. L’arrivée du JWST va révolutionner l’étude de ces astres car son capteur infrarouge MIRI (Instrument infrarouge moyen) couvre toute leur plage lumineuse jusqu’alors difficilement observable.

L'isotope de l’ammoniac, un traceur de la formation des exoplanètes.

Figure 2 – Spectre de WISE J1828 mesuré par l’instrument MIRI à bord du JWST. On voit clairement les bandes d’absorption caractéristiques de l’ammoniac, des molécules d’eau et de méthane qui provoquent une atténuation du signal dans la plage de longueurs d’onde entre 9 et 13 μm, 5 et 7 µm, et autour de 7,6 µm respectivement. La région zoomée du spectre montre un exemple d’une bande d’absorption de 15NH3 identifiée avec la résolution du spectromètre MIRI. 

Crédit: ETH Zurich / Polychronis Patapis.

Les isotopes sont des atomes qui possèdent le même nombre de protons mais un nombre différent de neutrons. En raison de leur masse atomique différente, les isotopes d’un même élément ont des propriétés physiques différentes, et donc des signatures spectrales qui diffèrent. Ils sont largement utilisés sur Terre. On pense notamment à la datation au carbone 14, qui permet d’estimer l’âge des os ou des fossiles.
 
En astronomie, ils occupent une place de plus en plus importante. Par exemple, le rapport des isotopes du carbone-12 (12C) et du carbone-13 (13C) dans l’atmosphère d’une exoplanète peut être utilisé pour déduire la distance à laquelle l’exoplanète s’est formée autour de son étoile centrale. Jusqu’à présent, le 12C et le 13C, liés dans le monoxyde de carbone, étaient les seuls isotopologues – molécules qui ne diffèrent que par la composition de leurs isotopes – pouvant être mesurés dans l’atmosphère des exoplanètes. Mais pour les objets froids, il est très difficile d’avoir accès à ces rapports isotopiques.
 

Grâce à cette nouvelle étude, l’équipe de chercheurs a démontré qu’il était également possible d’utiliser les isotopologues de l’ammoniac (NH3) comme traceur de la formation des exoplanètes. En effet, ils ont détecté pour la première fois dans l’atmosphère d’une naine brune froide, servant ici de proxy pour les exoplanètes, la signature spectrale caractéristique de la présence des molécules 14NH3 (écrit aussi 14N) et 15NH3 (15N). Même si elles ne diffèrent que d’un neutron dans le noyau de l’azote, nous pouvons clairement les distinguer dans le spectre observé (cf. Figure 2).

Un nouvel outil de diagnostic pour la formation des exoplanètes

Figure 3 – Ce schéma résume différentes phases de la formation des étoiles et des planètes et la relation entre le fractionnement de l’ammoniac (NH3) et l’évolution du rapport 14N/15N à différents stades : à l’intérieur d’un nuage moléculaire avec des noyaux pré-stellaires (en haut à gauche), pendant la formation d’une protoétoile (en haut à droite) et dans un disque circumstellaire autour d’une jeune étoile (en bas). 

Crédit : adapté de l’article Barrado, D. et al. 15NH3 in the atmosphere of a cool brown dwarf. Nature (2023).

 

Les géantes gazeuses telles que Jupiter ou Saturne n’existent pas seulement dans notre système solaire, mais on les retrouve également dans d’autres systèmes exoplanétaires.  Certaines orbitent très loin de leur étoile et la question de leur formation se pose. Se sont-elles formées dans le disque proto-stellaire comme les étoiles par instabilité gravitationnelle ou plus tard dans le disque protoplanétaire ? Le rapport 14NH3 / 15NH3 est un traceur, c’est-à-dire un indicateur, qui pourrait être utilisé à l’avenir pour étudier la formation de ces planètes.
 

En effet comme indiqué sur la Figure 3, dans un disque protoplanétaire, le rapport 14NH3 sur 15NH3 dépend de la distance à l’étoile et augmente fortement entre la ligne de glace de l’ammoniac (NH3) et la ligne de glace de l’azote moléculaire (N2). Cette variation est encore très qualitative ; mais la tendance est là.

 

À cet égard, l’ammoniac et la quantité de ses isotopologues peuvent non seulement fournir des informations sur la manière dont une exoplanète s’est développée, mais aussi sur l’endroit du disque protoplanétaire où elle s’est formée. Le rapport 14N/15N peut contraindre les emplacements de formation par rapport aux lignes de glace de NH3 et de N2 du disque, faisant de l’ammoniac un nouvel outil pour comprendre la formation des géantes gazeuses. Cette hypothèse pourra être testée sur les exoplanètes froides loin de leur étoile, et donc directement imageable par le JWST.