Première observation dans l’infrarouge moyen de Pluton et Charon grâce au Télescope Spatial James Webb

 

Dans deux articles publiés en avril 2025 dans la revue Astronomy & Astrophysics puis en juin 2025 dans Nature Astronomy, une équipe internationale, dirigée par des chercheurs du CNRS (LIRA, GSMA), de l’Observatoire de Paris et de l’Université de Reims Champagne Ardenne, présente les premières observations de Pluton et de son principal satellite, Charon. Ces observations ont été réalisées à l’aide du télescope spatial James Webb et de son instrument MIRI, opérant dans le moyen infrarouge, une gamme spectrale jusqu’alors inexplorée pour le système Pluton-Charon en raison de la sensibilité insuffisante des instruments précédents.

 

Il a ainsi été possible de mesurer pour la première fois, l’émission thermique infrarouge de Pluton et de Charon (à 15, 18, 21 et 25 micromètres), et d’obtenir un spectre de très haute qualité dans l’infrarouge moyen (de 4,9 à 27 micromètres) de Pluton et de son atmosphère. Les données recueillies révèlent des variations significatives du flux thermique, mettant en lumière les propriétés de surface des deux corps et la forte émission thermique de la brume de Pluton. Ces observations confirment que la brume joue un rôle central dans la régulation du climat de Pluton, de manière similaire à l’atmosphère de Titan. Ces découvertes ouvrent de nouvelles perspectives sur les processus atmosphériques et l’origine des glaces à la surface de Pluton, apportant des éléments essentiels pour comprendre la formation et l’évolution de ces corps glacés au sein de la ceinture de Kuiper, au-delà de Neptune.

 

Le système de Pluton

Figure 1 – Photographies de la surface (à gauche) et de l’atmosphère (à droite) de la planète naine Pluton, capturées par la sonde New Horizons de la NASA lors de son survol le 14 juillet 2015.
La surface de Pluton est complexe et reste géologiquement active. Son atmosphère est ténue, variable dans le temps, chimiquement riche et caractérisée par une brume étendue, similaire à celle de la haute atmosphère de Titan.
Crédits : New Horizons/NASA

Découverte en 1930 par l’astronome américain Clyde Tombaugh, Pluton est la première planète naine par son volume, avec un diamètre de 2 372 kilomètres. Située dans la ceinture de Kuiper, au-delà de Neptune, la dernière planète de notre système solaire, Pluton possède cinq lunes, dont Charon, la plus grande, mesurant 1 200 kilomètres de diamètre.

 

Observé pendant plusieurs décennies par les grands télescopes terrestres et spatiaux, le système plutonien a été exploré de près par la sonde New Horizons de la NASA. Lors de son survol historique du 14 juillet 2015, la sonde est passée à seulement 11 095 kilomètres de Plu-ton, révélant un monde aux paysages surprenants (cf. Figure 1).

 

Pluton présente une géologie encore active, façonnant une topographie complexe composée de bassins, de montagnes, de vallées et même de glaciers d’azote (N2) et de méthane (CH4). Son atmosphère, bien que ténue, est chimiquement riche et contient des composés volatils tels que l’azote, le méthane et le monoxyde de carbone (CO), accompagnés d’une brume étendue. Cette brume se forme par la photochimie couplée de l’azote et du méthane, un processus similaire à celui observé sur Titan, la plus grande lune de Saturne.

Figure 2 – Photographie de Charon, lune principale de Pluton, capturée par la sonde New Horizons de la NASA lors de son survol le 14 juillet 2015.
Le pôle nord de Charon apparaît sombre en raison de la présence de suies organiques. Ces dépôts proviennent de la capture et de la transformation chimique des molécules de méthane (CH4) échappées de l’atmosphère de Pluton.
Crédits : New Horizons/NASA

En comparaison, Charon, dépourvu d’atmosphère, présente une surface plus uniforme, principalement composée de glace d’eau mélangée à des composés à base d’ammoniac (cf. Figure 2). Ses régions polaires sont recouvertes d’une couche de suie organique, leur conférant une apparence plus sombre et rougeâtre que le reste de la surface. Cette suie provient de la capture et de la transformation chimique de molécules de méthane (CH4) échappées de l’atmosphère de Pluton.

Ces découvertes ont soulevé de nouvelles questions fondamentales concernant l’évolution du climat de Pluton, la chimie et le bilan énergétique de son atmosphère, ainsi que les propriétés thermiques et compositionnelles des surfaces de Pluton et de Charon.

Observations du système Pluton-Charon par le Télescope Spatial James Webb

Afin d’acquérir de nouvelles données sur la composition gazeuse et la brume de l’atmosphère de Pluton, les chercheurs ont orienté le Télescope Spatial James Webb (JWST) vers le système Pluton-Charon. Ils ont utilisé l’instrument MIRI, qui présente l’avantage significatif de capturer des spectres et de réaliser des mesures photométriques dans l’infrarouge moyen, une gamme spectrale jusqu’alors inexplorée pour Pluton.

 

Les mesures photométriques, obtenues à l’aide de l’imageur MIRI (appelé MIRIm), fournissent des courbes de lumière thermique distinctes pour Pluton et Charon dans quatre longueurs d’onde caractéristiques : 15, 18, 21 et 25 micromètres. Ces données permettent de déterminer les propriétés thermiques et énergétiques de leur surface.

 

Quant aux mesures spectrales, acquises avec le spectromètre à moyenne résolution (MRS) dans la bande de 5 à 28 micromètres, elles apportent de nouvelles informations sur la composition de l’atmosphère de Pluton.

Résultats des mesures photométriques

Des interactions surface-atmosphère complexes au sein du couple Pluton-Charon

Figure 3 – Variation de l’émission thermique de la surface et de l’atmosphère de Pluton au cours de sa rotation.
Les points noirs représentent les mesures photométriques MIRI/JWST prises au cours de la rotation de Pluton, aux longueurs d’onde de 15, 18, 21 et 25 micromètres (de gauche à droite), avec des barres d’erreur à 1σ. En rouge est illustré l’ajustement obtenu avec le meilleur modèle, qui prend en compte à la fois la surface et l’atmosphère de Pluton. À 15 micromètres, le flux total est présenté, incluant les contributions de la lumière solaire réfléchie par la surface ainsi que l’émission thermique de la surface et de l’atmosphère (gaz et brume).
Crédits : Bertrand et al. 2025 Nature Astronomy

Les courbes de lumière mesurées par MIRIm révèlent des variations du flux thermique émis par Pluton et Charon durant leur rotation (cf. Figure 3). Ces variations sont sensibles aux propriétés de surface des différents terrains, tels que la glace de méthane, la glace d’eau et les dépôts sombres. En comparant ces observations à des modèles thermiques, les chercheurs ont pu établir des contraintes significatives sur l’inertie thermique, l’émissivité et la température des différentes régions de Pluton et Charon.

Figure 4 – Variation de l’émission thermique de la surface et de l’atmosphère de Charon au cours de sa rotation.
Les points noirs représentent les mesures photométriques MIRI/JWST prises au cours de la rotation de Pluton, aux longueurs d’onde de 15, 18, 21 et 25 micromètres (de gauche à droite), avec des barres d’erreur à 1σ. En rouge est illustré l’ajustement obtenu avec le meilleur modèle thermophysique de la surface.
Crédits : Bertrand et al. 2025 Nature Astronomy

Sur Pluton, ces propriétés jouent un rôle crucial dans les cycles diurnes et saisonniers de redistribution des glaces volatiles. Tandis que sur Charon, les résultats révèlent d’importantes différences entre les régions recouvertes de glace d’eau pure et les régions polaires sombres (voir Figure 4). Ces observations apportent de nouveaux éléments sur un phénomène unique dans le système solaire : le dépôt de matière provenant de l’atmosphère de Pluton à la surface de son satellite et son évolution ultérieure.

Une brume organique et glacée qui façonne le climat de Pluton

L’analyse des données recueillies révèle pour la première fois que la brume atmosphérique de Pluton émet une signature thermique significative. Une telle émission avait été prédite par les modèles, mais n’avait encore jamais été observée directement. Cette découverte est d’importance majeure : elle indique que la température, la dynamique et, plus largement, le système climatique de Pluton sont fortement influencés – voire contrôlés – par cette brume, dont les effets varient au fil des saisons.

La température de la haute atmosphère de Pluton est de –203 degrés Celsius en raison de la présence de la brume, alors qu’elle serait de –173 degrés Celsius sans celle-ci. Les particules de brume absorbent la chaleur et émettent ensuite un rayonnement infrarouge vers l’espace, ce qui refroidit l’atmosphère. Nos observations confirment ainsi que la température atmosphérique sur Pluton, et donc une partie importante de son système climatique, est contrôlée par les particules de brume. Cela met en lumière la richesse chimique de l’atmosphère de Pluton, qui présente des similitudes avec la haute atmosphère de Titan, explique Tanguy Bertrand, astronome adjoint au LIRA de l’Observatoire de Paris-PSL et auteur principal de l’article publié dans Nature Astronomy.

Les chercheurs ont également mis en évidence la nature complexe de cette brume. Elle est constituée à la fois de particules organiques, ainsi que de glaces d’hydrocarbures et de nitriles, dont les signatures spectrales ont pu être détectées dans cette étude.

La brume résulte de réactions chimiques dans la haute atmosphère, où le rayonnement ultraviolet du Soleil ionise l’azote et le méthane, qui réagissent pour former de minuscules particules d’hydrocarbures d’un diamètre de quelques dizaines de nanomètres. À mesure que ces particules descendent dans l’atmosphère, elles s’agglomèrent pour former des agrégats. Ces derniers grossissent en tombant et finissent par se déposer à la surface, précise encore Tanguy Bertrand.

Résultats des mesures spectrales

Des indices précieux sur la chimie, l’origine et l’évolution de Pluton

Figure 5 – Spectre de Pluton dans l’infrarouge moyen obtenu avec MIRI MRS.
La courbe noire représente les données spectrales, où les signatures des gaz atmosphériques sont clairement visibles. Les courbes rouges montrent un modèle sans caractéristiques atmosphériques, incluant uniquement les contributions solaires (en violet) et thermiques (en vert). L’encart présente la réflectance de la composante solaire réfléchie, révélant des absorptions attribuées aux glaces de CH4, CH3D et C2H4.
Crédits : Lellouch et al., A&A 2025

L’analyse du spectre infrarouge (4,9–27 μm) de l’atmosphère de Pluton a révélé de nouveaux détails sur sa composition (cf. Figure 5), fournissant de nouvelles contraintes pour comprendre la chimie de l’atmosphère et son origine.

 

Le spectre montre des signatures claires de plusieurs gaz issus de la photolyse du méthane par les rayons UV du Soleil, tels que l’éthane (C2H6), l’acétylène (C2H2), le propyne (CH3C2H) et le diacétylène (C4H2). Ces résultats affinent notre compréhension des réactions photochimiques en jeu et permettent des comparaisons détaillées avec celles observées sur Titan.

 

De manière inattendue, le spectre présente des émissions fluorescentes (non-thermiques) de méthane (CH4) et de deutérométhane (CH3D). Cela indique des processus complexes d’excitation non collisionnelle de leurs niveaux de vibration par le rayonnement solaire, similaires à ceux observés dans les atmosphères cométaires.

 

Enfin, la détection de la molécule C2HD a permis de mesurer un rapport deutérium/hydrogène (D/H) environ trois fois plus élevé que celui sur Terre. Ce ratio est un marqueur de l’origine et de l’évolution des glaces et de l’atmosphère de Pluton, même si son interprétation est pour le moment incertaine.

Un nouveau jalon dans l’exploration du système solaire externe

Ces travaux représentent une avancée significative dans notre compréhension de Pluton et Charon. Ils ouvrent de nouvelles perspectives sur l’évolution climatique et chimique de Pluton, ainsi que sur les échanges de matière au sein du système Pluton-Charon. Ces recherches met-tent en évidence la richesse des processus chimiques et le rôle central de la brume dans l’équilibre thermique de l’atmosphère de Pluton.

 

La chimie et les effets radiatifs de la brume pourraient également se produire dans d’autres atmosphères ténues riches en azote (N₂) et méthane (CH₄), comme celles de Triton (plus grand satellite naturel de Neptune), les hautes couches de l’atmosphère de Titan, la Terre primitive, ou encore certaines exoplanètes.

 

D’autres équipes ont mené des études sur Pluton et Charon en utilisant les instruments du JWST opérant dans le proche infrarouge, notamment l’imageur NIRCam et le spectromètre NIRSpec. La prochaine étape consistera à analyser de manière cohérente l’ensemble des observations dans une large gamme spectrale pour étendre notre compréhension sur ce système lointain.

 

Le Télescope Spatial James Webb découvre sa première exoplanète !

 

La recherche d’exoplanètes constitue l’un des grands objectifs de l’astronomie moderne, car elle permet de mieux comprendre la formation et l’évolution des systèmes planétaires. Depuis sa mise en service en 2022, le James Webb Space Telescope (JWST) a permis de caractériser plusieurs exoplanètes déjà connues. Récemment, il a même découvert sa première exoplanète, une avancée majeure ! Publiée dans la prestigieuse revue Nature, cette découverte est le fruit d’une collaboration internationale, dirigée par une chercheuse du LIRA de l’Observatoire de Paris-PSL, en association avec l’Université Grenoble Alpes, et a été rendue possible grâce au coronographe conçu par le LIRA.

L’exoplanète se trouve dans un disque de débris et de poussière entourant une jeune étoile nommée TWA 7. Cette planète est la plus légère jamais observée par imagerie directe, représentant une étape importante vers l’imagerie de planètes de moins en moins massives, et donc plus semblables à la Terre.

 

L’imagerie directe d’exoplanètes, un véritable défi

Figure 1 – Les quatre masques coronographiques situés au plan focal de l’instrument MIRI du JWST permettent de masquer une étoile afin de révéler les objets peu lumineux autour, comme une exoplanète.
À gauche, trois masques de phase à quatre quadrants (4QPM) et à droite, un masque de Lyot. L’ensemble de ces coronographes a été conçu au LIRA de l’Observatoire de Paris et fabriqué par le CEA.
Crédits : Jérôme Parisot (LIRA)

Les exoplanètes sont des cibles privilégiées en observation astronomique car elles permettent de mieux comprendre comment se forment les systèmes planétaires, y compris le nôtre. En 30 ans, le nombre d’exoplanètes découvertes s’élève à 7500. Ce nombre croît de manière exponentielle grâce au génie humain qui se dote de nouveaux télescopes de plus en plus puissants et de nouvelles techniques observationnelles pour pallier les difficultés. 

 

Il existe plusieurs techniques de détection d’exoplanètes, dont l’une consiste à imager directement une planète en orbite autour de son étoile hôte. On pourrait penser que cette méthode est la plus simple, car elle semble la plus intuitive. Pourtant, il n’en est rien ! En réalité, l’imagerie directe d’exoplanètes est complexe pour deux raisons principales : elle nécessite une résolution angulaire suffisante pour distinguer la planète de son étoile, ainsi qu’une sensibilité adéquate pour obtenir un contraste permettant de faire ressortir la pâle lueur de la planète par rapport à une étoile brillant des millions de fois plus intensément. C’est pour ces raisons que la plupart des détections d’exoplanètes par imagerie directe concerne des planètes loin de leur étoile, d’au moins dix fois la distance Terre-Soleil (10 AU), et très massives (environ celle de Jupiter) pour que leur émission infrarouge soit plus intense. 

 

D’un point de vue observationnel, il est possible de surmonter ces difficultés et espérer imager des planètes plus petites et plus proches de leurs étoiles en utilisant plusieurs stratégies :

  1. Augmenter le diamètre du télescope, ce qui améliore la résolution angulaire.
  2. Observer dans l’infrarouge moyen, renforçant le contraste étoile-planète. En effet, dans cette partie du spectre électromagnétique, la planète est plus brillante car on observe son émission thermique plutôt que sa lumière réfléchie, tandis que l’étoile est moins lumineuse.
  3. Utiliser un coronographe pour masquer la lumière de l’étoile, facilitant l’observation des objets environnants noyés par son éclat.
  4. Observer depuis l’espace pour s’affranchir de la turbulence atmosphérique. 

 

Or, le télescope spatial James Webb (JWST) possède justement toutes ces caractéristiques ! Notamment l’instrument MIRI (Mid-Infrared Instrument) observe dans l’infrarouge moyen et dispose d’un coronographe (cf. Figure 1) conçu au LIRA de l’Observatoire de Paris et fabriqué par le CEA. 

C’est cette technique qui a permis à une équipe de recherche menée par une chercheuse du LIRA de découvrir une nouvelle exoplanète, la première à l’être par le JWST. 

Des anneaux dans des disques de débris

Figure 2 – Image du disque autour de TWA 7, réalisée à l’aide de l’instrument SPHERE installé au Very Large Telescope de l’ESO.
L’image capturée par l’instrument MIRI du JWST y est superposée. La zone de vide entourant TWA 7b (CC #1) est clairement visible au sein de l’anneau R2.
Crédits : Lagrange et al. 2025 – Evidence for a sub-jovian planet in the young TWA7 disk

Le JWST n’a pas été conçu pour découvrir des exoplanètes, mais plutôt pour les étudier avec une grande précision une fois qu’elles ont été découvertes par d’autres télescopes. En effet, son champ de vision n’est pas adapté pour observer de nombreuses étoiles en même temps, ce qui ralentit considérablement le processus de découverte.

 

Ainsi, pour réaliser cette découverte, l’équipe de scientifiques a dû se concentrer sur les disques de débris les plus prometteurs : des systèmes âgés de quelques millions d’années seulement. Dans ces systèmes, les planètes tout juste formées sont encore chaudes, ce qui les rend plus lumineuses dans l’infrarouge thermique que leurs homologues plus âgées, facilitant ainsi la détection de planètes plus petites. De plus, ces systèmes sont vus par le pôle de leur étoile depuis la Terre, une configuration qui permet de voir les disques “par le dessus”.

 

Parmi ces candidats susceptibles d’abriter des planètes en formation, deux ont particulièrement retenu l’attention des chercheurs. En effet, de précédentes observations avaient révélé des structures annulaires concentriques en leur sein, soupçonnées d’être le fruit d’interactions gravitationnelles entre des planètes non identifiées et des planétésimaux, c’est-à-dire des planètes en formation.

 

L’un des deux systèmes, appelé TWA 7, présente trois anneaux distincts, dont un particulièrement fin, entouré de deux régions presque vides de matière (cf. Figure 2). Lorsque les scientifiques ont pointé le JWST vers ce système, l’image obtenue a révélé une source au cœur même de cet anneau fin. 

 

Après avoir éliminé les hypothèses d’un potentiel biais d’observation, les scientifiques sont arrivés à la conclusion qu’il s’agit très probablement d’une exoplanète. Des simulations détaillées ont effectivement confirmé la formation d’un anneau mince et d’un “trou” à la position exacte de la planète, en accord parfait avec les observations effectuées par le JWST.

Quelles perspectives pour les futures découvertes d’exoplanètes ?

Figure 3 – Image de l’exoplanète TWA 7b, d’une masse comparable à celle de Saturne, en orbite autour de la jeune étoile TWA 7.
Cette image résulte de la combinaison de données issues du sol — obtenues par le Very Large Telescope de l’ESO, représentées en bleu, montrant le disque de débris entourant l’étoile — et de données de l’instrument MIRI du JWST, représentées en orange. Le point orange vif en haut à droite de l’étoile correspond à la source identifiée comme TWA 7b, située à l’intérieur du disque de débris. L’étoile hôte, TWA 7, a été masquée à l’aide du coronographe développé par le LIRA ; elle est symbolisée ici par un cercle et une étoile stylisée au centre de l’image.
Crédits : NASA, ESA, CSA, Anne-Marie Lagrange (CNRS, UGA), Mahdi Zamani (ESA/Webb)

Baptisée TWA 7 b, cette nouvelle exoplanète est dix fois plus légère que celles imagées jusqu’à présent ! Sa masse est comparable à celle de Saturne, soit environ 30% de celle de Jupiter, la plus massive des planètes du Système solaire. 

 

Ce résultat marque un nouveau jalon dans la recherche et l’imagerie directe d’exoplanètes de plus en plus légères. Le JWST a le potentiel d’aller encore plus loin à l’avenir. Les scientifiques espèrent ainsi pouvoir imager des planètes pouvant avoir seulement 10% de la masse de Jupiter. Cette découverte ouvre la voie vers l’imagerie d’exoplanètes de type terrestre. Elles seront l’objectif des futures générations de télescopes spatiaux et terrestres, dont certains utiliseront également des coronographes plus perfectionnés. Les systèmes candidats les plus prometteurs sont d’ores et déjà en cours d’identification pour ces futures observations.

Inauguration de la maquette du JWST grandeur nature à la Cité de l’Espace

 
Le télescope spatial James Webb (JWST) est, sans conteste, un instrument scientifique hors du commun. Depuis son lancement le 25 décembre 2021 depuis Kourou en Guyane française, il a déjà révolutionné l’astrophysique, en apportant des réponses à de nombreuses énigmes tout en soulevant de nouvelles questions. Si l’Univers se dévoile ainsi aux chercheurs, c’est en grande partie grâce à l’immense miroir de 6,5 m de diamètre, qui fait du James Webb le télescope spatial le plus grand et le plus sophistiqué jamais lancé.
 
Mais comment visualiser au plus juste ce télescope, presqu’aussi élevé qu’un immeuble de trois étages ? C’est précisément l’expérience proposée au public par la Cité de l’Espace avec une reconstitution grandeur nature. L’inauguration de cette maquette s’est tenue le 28 avril 2025, en présence notamment de Pierre-Olivier Lagage, directeur de recherche au Département d’Astrophysique du CEA, de Lucie Leboulleux, chargée de recherche à l’IPAG/CNRS, et d’Olivier Berné, directeur de recherche à l’IRAP/OMP/CNRS.

Une maquette unique en Europe !

Christophe Chaffardon, Directeur de l’Éducation, des Sciences et de la Culture à la Cité de l’Espace, retrace l’épopée de la maquette grandeur nature du miroir du télescope spatial James Webb, lors de son inauguration dans les jardins de la Cité de l’Espace.
Crédits :
Raphael de Assis Peralta

Unique en Europe, cette maquette à l’échelle 1 n’a qu’une seule jumelle : aux États-Unis. La reproduction toulousaine a été rendue possible grâce au don du Département d’Astrophysique du CEA Paris-Saclay, qui a fourni une maquette grandeur nature réalisée en 2009 à l’occasion de l’Année mondiale de l’astronomie. Le CEA a joué un rôle clé dans la conception du JWST, en participant notamment au développement de l’un de ses instruments majeurs : l’imageur MIRIm (Mid-InfraRed Imager), dont Pierre-Olivier Lagage était le responsable scientifique.

 

Très prochainement, la Cité de l’Espace matérialisera au sol la surface du bouclier thermique du télescope, équivalente à celle d’un terrain de tennis. Ce bouclier protège le JWST du rayonnement thermique du Soleil, condition indispensable pour maintenir les instruments dans une température extrêmement basse, nécessaire à l’observation dans l’infrarouge.

Une table ronde inaugurale s’est tenue autour de l’aventure extraordinaire du télescope spatial James Webb et de ses dernières découvertes scientifiques, en présence de (gauche à droite) Pierre-Olivier Lagage, Lucie Leboulleux, Christophe Chaffardon et Olivier Berné.
Crédits :
Raphael de Assis Peralta

Installée à proximité de la réplique de la fusée Ariane 5, la maquette offre une occasion unique de prendre la mesure de l’envergure de l’instrument qui était plié dans la fusée : c’est en effet le lanceur européen de l’ESA qui a placé le télescope sur son orbite, avec une précision remarquable : un tir si précis qu’il a permis de doubler l’espérance de vie du télescope, passant de 10 à 20 ans.

 

En complément, la Cité de l’Espace propose le film IMAX® 2D Deep Sky : l’aventure du télescope JWST, projeté sur écran géant. Le public est plongé dans l’épopée fascinante du James Webb : revivez son décollage à bord d’Ariane 5 et embarquez pour un voyage vertigineux aux confins de l’Univers et du temps. Grâce aux images spectaculaires fournies par l’observatoire spatial, l’expérience devient une véritable immersion cosmique.

Projection du film IMAX® “Deep Sky, l’aventure du télescope James Webb” à la Cité de l’Espace.
Crédits : Pierre Carton – Cité de l’espace

TRAPPIST-1 b a t-elle finalement une atmosphère ?

 
Le système TRAPPIST-1, fascinant par ses sept planètes rocheuses de taille terrestre, dont trois situées dans la zone habitable, représente une opportunité unique pour étudier les atmosphères des exoplanètes. Le télescope spatial James Webb (JWST) joue un rôle clé en permettant de mesurer l’émission thermique de ces planètes tempérées. Une première campagne d’observation à λ=15 µm avait révélé une température de 503 K sur le côté jour de la planète TRAPPIST-1 b, suggérant l’absence d’atmosphère et une surface très sombre. Cependant, basée sur les observations d’une seconde campagne à λ=12,8 µm, cette nouvelle étude menée par le Département d’Astrophysique de l’IRFU du CEA Paris-Saclay a mesuré une température bien plus basse que celle attendue par le scénario précédent, obligeant ainsi les chercheurs à explorer de nouvelles pistes. Parmi les hypothèses envisagées, une atmosphère riche en CO2 et en brumes est une possibilité, bien qu’un scénario de surface ultramafique volcanique semble plus probable. Pour résoudre ce mystère, une nouvelle phase d’observations a été lancée, visant à suivre le flux lumineux de la planète tout au long de son orbite.

 

Ce résultat a été publié dans la prestigieuse revue Nature Astronomy : « Combined analysis of the 12.8 and 15 μm JWST/MIRI eclipse observations of TRAPPIST-1 b »
 

TRAPPIST-1 : un laboratoire idéal pour étudier les atmosphères des planètes rocheuses

Figure 2 – En comparant le flux lumineux de l’étoile seule lorsque la planète est occultée (derrière l’étoile) avec le flux observé juste avant ou après l’occultation, il est possible de déduire l’émission thermique du côté jour de la planète, tout en évitant les contaminations stellaires présentes dans d’autres configurations (par exemple, les transits).
Crédit : Ducrot et al. 2024

Le système TRAPPIST-1 se distingue par son étoile naine ultrafroide entourée de sept planètes rocheuses de taille terrestre, dont trois situées dans la zone habitable, offrant ainsi une opportunité scientifique exceptionnelle pour l’étude des exoplanètes et des atmosphères. Ce système constitue donc une cible privilégiée pour le télescope spatial James Webb (JWST), dont les capacités spectroscopiques infrarouges permettent d’étudier en détail ce type de planètes. En particulier, le JWST est capable de mesurer directement la chaleur émise par une planète, en comparant le flux lumineux de l’étoile lors d’une occultation – moment où la planète passe derrière l’étoile – au flux observé juste avant et après cet événement (cf. Figure 2). Cette méthode permet de déduire la lumière infrarouge émise par la face éclairée (côté jour) de la planète tout en évitant les contaminations stellaires qui peuvent compliquer les mesures dans d’autres configurations, telles que les transits.

 

« L’émission thermique est rapidement devenue la méthode préférée pour étudier les exoplanètes rocheuses autour d’étoiles naines M durant les deux premières années du JWST », explique Pierre-Olivier Lagage, co-auteur principal de l’étude et directeur du Département d’Astrophysique au CEA. « Concernant les planètes de TRAPPIST-1, les premières informations proviennent des mesures d’émission, car il reste difficile de distinguer les signaux atmosphériques et stellaires en transit. »

Deux campagnes d’observation avec le JWST ont été menées pour étudier la planète TRAPPIST-1 b car, étant la plus proche de l’étoile hôte, elle émet davantage d’infrarouge que les autres planètes du système. Ces observations ont été réalisées avec l’imageur MIRIm, développé au CEA Paris-Saclay, en utilisant des filtres judicieusement choisis pour détecter la présence de dioxyde de carbone (CO2) et mesurer sa teneur.

La première campagne, menée en 2023 par une équipe de la NASA en collaboration avec le Département d’Astrophysique de l’IRFU au CEA Paris-Saclay, a utilisé un filtre centré sur λ=15 µm. Ces observations ont permis de déterminer que le côté jour de TRAPPIST-1 b présente une température d’environ 503 K (+/- 26 K), marquant ainsi la toute première mesure directe de la température d’une planète rocheuse tempérée dans l’histoire de l’étude des exoplanètes.

Avec une telle température, les scientifiques ont suggéré que TRAPPIST-1 b aurait plutôt une « surface nue et sombre », où la planète ne posséderait pas d’atmosphère, et sa surface absorberait presque toute la lumière stellaire incidente (Greene et al., 2023). Cette hypothèse repose sur le fait que le CO2 absorbe fortement à cette longueur d’onde ; une atmosphère riche en CO2 aurait donc considérablement réduit le flux observé. Cependant, une mesure unique à une longueur d’onde ne suffit pas pour exclure tous les scénarios atmosphériques possibles.

Surface nue ou atmosphère complexe ?

Figure 3 – Comparaison des différents scénarios de surface nue et atmosphériques pour la planète TRAPPIST-1 b, avec le cas de la Terre.
L’émission thermique mesurée à 12,8 (rouge foncé) et 15 microns (rouge clair) permet de discriminer ces scénarios. Le premier schéma (extrême gauche) illustre le scénario de « surface nue et sombre », suggéré lors de la première étude avec la mesure à 15 microns uniquement. Cette nouvelle étude remet en question ce scénario et propose deux nouvelles hypothèses : le scénario “surface nue ultramafique” et le scénario “atmosphère riche en brumes de CO2”.
Crédit : Ducrot et al. 2024

Cette nouvelle étude, menée par une équipe du CEA Paris-Saclay, complète les observations précédentes en mesurant cette fois-ci le flux de TRAPPIST-1 b à 12,8 microns, une seconde bande d’absorption caractéristique du CO2. Alors que le scénario initial de « surface sombre nue » proposé par Greene et al. (2023) prévoyait une température d’environ 227 °C à cette longueur d’onde, les chercheurs ont mesuré une température nettement plus basse, de 150 °C. Ce résultat invalide le scénario précédent, basé sur les observations à 15 microns, obligeant les chercheurs à explorer d’autres modèles de surface et d’atmosphère. Deux nouveaux scénarios semblent ressortir (cf. figure 3) :

  •     – Scénario « surface nue ultramafic » : TRAPPIST-1 b serait dépourvue d’atmosphère, mais sa surface serait composée de roches ultramafiques, des roches volcaniques riches en minéraux qui émettent moins de lumière à 12,8 microns qu’une surface sombre classique. Ce résultat suggère l’existence possible de volcanisme, car sans ce processus créant de nouvelles roches, les roches seraient rapidement altérées et noircies par l’activité de l’étoile.
  •    – Scénario « atmosphère riche en brumes de CO2 » : TRAPPIST-1 b possèderait une atmosphère riche en CO2 avec d’épaisses brumes, formées de minuscules particules ou gouttelettes issues de réactions chimiques liées à l’activité volcanique ou au rayonnement solaire. Ces brumes absorberaient la lumière stellaire et provoqueraient un réchauffement des couches supérieures de l’atmosphère, créant une inversion thermique où la température augmente avec l’altitude. Ce phénomène, similaire à celui de la stratosphère terrestre – bien que lié ici au CO2 et non à l’ozone – expliquerait une émission plus élevée à 15 microns par rapport à 12,8 microns, un comportement inattendu par rapport au CO2 observé sur Terre ou Vénus.
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Bien que les brumes soient déjà connues pour influencer la température et l’apparence atmosphérique, comme sur Titan, leur impact sur TRAPPIST-1 b reste surprenant. Cependant, les auteurs estiment que le scénario « surface nue ultramafique » est plus probable, en raison de la complexité et des incertitudes associées à la formation de telles brumes.

« Nous avons été surpris de mesurer une température significativement plus basse qu’attendu. Nous pensions que le cas de TRAPPIST-1 b était clos, mais cette nouvelle longueur d’onde nous rappelle toutes les ambiguïtés qui existent pour décrire une planète à partir d’observations discrètes. » souligne Elsa Ducrot, chercheuse au Département d’Astrophysique du CEA et autrice principale de cette étude. « De plus, cette mesure a stimulé notre curiosité et nous a permis de proposer un scénario atmosphérique avec des brumes inédites en accord avec les données. Bien qu’il semble moins probable, il est très intéressant que la communauté scientifique puisse le prendre en compte dans l’interprétation des futures observations d’exoplanètes rocheuses. »

 

Comment lever le mystère ?

Figure 4 – Illustration de la courbe de phase : évolution du flux lumineux du système étoile-planète au cours d’une orbite complète.
La position (a) correspond au transit : La planète passe devant l’étoile. Le flux mesuré correspond à la lumière de l’étoile diminuée par l’absorption due au disque planétaire et à son éventuelle atmosphère. Cette configuration permet de sonder l’émission du côté nuit de la planète. La position (c) correspond à l’occultation (ou éclipse secondaire) : La planète est cachée derrière l’étoile. Le télescope ne capte alors que le flux lumineux de l’étoile, ce qui permet d’isoler et soustraire sa contribution. Enfin, la position (b) est juste avant et après l’occultation. L’intensité mesurée est maximale : le flux lumineux de la planète s’ajoute à celui de l’étoile.

Cette nouvelle étude souligne les défis posés par la détermination définitive de la présence d’une atmosphère sur une planète en se basant uniquement sur les mesures d’émission thermique lors des occultations. Pour lever définitivement le mystère de la présence d’une atmosphère sur TRAPPIST-1 b, les chercheurs ont alors initié une nouvelle campagne d’observation avec le JWST visant à mesurer le flux de la planète tout au long de son orbite complète, et non uniquement son côté jour (cf. figure 4). Complétée ensuite par des simulations atmosphériques 3D complexes, cette méthode, bien que coûteuse en temps d’observation, est essentielle pour trancher sur l’existence ou l’absence d’une atmosphère autour de TRAPPIST-1 b.

« Si une atmosphère est présente, la chaleur sera redistribuée du côté jour au côté nuit de la planète. Sans atmosphère, cette redistribution sera minimale », explique Michaël Gillon de l’Université de Liège, co-auteur de cette étude.

 

Ces réponses pourraient inaugurer une nouvelle ère dans l’étude des atmosphères des exoplanètes rocheuses.

En savoir plus :

Photobombes : lorsque des astéroïdes s’incrustent sur les images du JWST !

 

Alors que le JWST observait TRAPPIST-1, le système aux sept exoplanètes, une équipe internationale de chercheurs, incluant le Département d’Astrophysique du CEA Paris-Saclay, s’est aperçue que des passagers célestes faisaient régulièrement leur entrée dans le champ de vue. Ils ont alors mis au point une méthode pour les étudier et ont ainsi identifié 138 nouveaux astéroïdes de la ceinture principale. Ces corps célestes, allant de la taille d’un bus à celle de plusieurs stades, représentent les plus petits astéroïdes jamais détectés dans cette région de l’espace.
Grâce à cette nouvelle approche, les chercheurs peuvent désormais repérer des astéroïdes aussi petits que 10 mètres de diamètre, ouvrant la voie à une exploration approfondie des petits objets du système solaire. Cette avancée est cruciale pour mieux comprendre l’histoire du système solaire et pour améliorer le suivi des astéroïdes potentiellement dangereux, renforçant ainsi la sécurité planétaire.

 

Cette étude a été publiée dans la prestigieuse revue Nature, avec pour titre « JWST sighting of decameter main-belt asteroids and view on meteorite sources ».

 

L’observation des astéroïdes de la ceinture principale, une quête difficile

Figure 1 – Distribution en taille des astéroïdes de la ceinture principale, majoritairement peuplée par des astéroïdes de petite taille, tandis que les grands astéroïdes sont beaucoup plus rares, suivant une loi de puissance.
Crédits : Marco Colombo — DensityDesign Integrated Course Final Synthesis Studio

L’astéroïde à l’origine de l’extinction des dinosaures mesurait environ 10 kilomètres de diamètre, soit l’équivalent de la largeur de Brooklyn. Un tel impacteur ne frappe la Terre que très rarement, à une fréquence estimée entre une fois tous les 100 et 500 millions d’années. En revanche, des astéroïdes beaucoup plus petits, comparable à la taille d’un bus, peuvent toucher la Terre bien plus fréquemment, tous les quelques années, car ils sont beaucoup plus nombreux (cf. Figure 1). Ces astéroïdes, qualifiés de « décamétriques » en raison de leur diamètre d’une dizaine de mètres, sont néanmoins capables de générer des ondes de choc pouvant causer des dommages à l’échelle régionale, comme lors de l’explosion de 1908 à Tunguska, en Sibérie, ou celle de 2013 dans le ciel de Tcheliabinsk, dans l’Oural.

 

Ces astéroïdes proviennent majoritairement de la ceinture principale, située entre Mars et Jupiter, où des millions de corps célestes orbitent. Répertorier ces astéroïdes est fondamental, tant pour la recherche scientifique — afin d’élucider les origines et l’évolution du système solaire — que pour la sécurité planétaire — en identifiant les géocroiseurs, ces astéroïdes dont l’orbite croise celle de la Terre et qui pourraient représenter une menace.

 

Cependant, jusqu’à récemment, les instruments disponibles ne permettaient de détecter dans la ceinture principale que des astéroïdes mesurant au moins un kilomètre de diamètre. Cette limite est largement insuffisante, étant donné que la majorité des astéroïdes présents dans cette région sont beaucoup plus petits. De plus, ces petits astéroïdes ont une probabilité accrue de quitter la ceinture principale et de devenir des objets proches de la Terre, augmentant ainsi le risque de causer des dégâts significatifs sur notre planète. Une meilleure capacité à repérer ces corps de petite taille est donc cruciale pour répondre à ces enjeux.

De l'indésirable au désiré : quand des « parasites » deviennent une opportunité scientifique

Figure 1 – Découverte de nouveaux astéroïdes avec le JWST lors de l’observation du système TRAPPIST-1.
Crédits : Burdanov, de Wit et al., 2024, Nature.
a. Empilement de 500 images de l’étoile ultra-froide TRAPPIST-1.
Deux astéroïdes connus (2004 GH89 et 2016 UR72) se distinguent par une traînée blanche visible à gauche de l’image. Leur luminosité est telle qu’ils apparaissent sur les images individuelles. En revanche, quatre autres astéroïdes (#113, #109, #112 et #111), jusqu’alors inconnus, ne révèlent leur présence qu’après l’empilement des centaines d’images. Leurs trajectoires sont indiquées par des lignes pointillées.
b. Images des quatre nouveaux astéroïdes (#113, #109, #112 et #111) accompagnées de leurs propriétés respectives : vitesse (V, en arcsec/min), angle de position (PA, en degrés) et flux (F, en μJy).
Ces astéroïdes ont été découverts grâce à la technique du « décalage et empilement », qui consiste à recentrer les images successives sur la position des objets, puis à les superposer. Cette méthode améliore le rapport signal/bruit, révélant ainsi des objets invisibles sur une seule image.

Dans le cadre du programme intitulé “TRAPPIST-1 Planets: Atmospheres Or Not?”, co-dirigé par le Département d’Astrophysique (DAp) de l’IRFU du CEA Paris-Saclay, le télescope spatial James Webb (JWST) a observé le système exoplanétaire TRAPPIST-1 à l’aide de l’instrument MIRI. L’objectif était d’étudier la courbe de phase des deux premières planètes, TRAPPIST-1 b et c, afin de suivre l’évolution de leur flux lumineux sur une orbite complète. Ce type d’observation permet de mesurer l’émission thermique des différentes faces de chaque planète et d’étudier la répartition de la chaleur à leur surface, dans le but de confirmer ou d’infirmer la présence d’une atmosphère.

« Pour couvrir une période orbitale complète des planètes b et c (respectivement 1,5 jour et 2,42 jours), les observations se sont étendues sur environ 60 heures, constituant ainsi le programme d’observation continue d’une étoile le plus long réalisé par le JWST pour l’étude des exoplanètes », précise Elsa Ducrot, chercheuse au Département d’Astrophysique du CEA, co-leader de ce programme d’observation et co-autrice de cette étude.

Lors de l’analyse de ces observations, une équipe de recherche internationale, dirigée par le Massachusetts Institute of Technology (MIT, USA) et incluant le DAp, s’est aperçue qu’elles étaient polluées par des astéroïdes traversant le champ de vue (cf. figure 2a). Bien que le champ soit très petit (56,3″ × 56,3″), de nombreux astéroïdes y apparaissent régulièrement, car TRAPPIST-1 est situé dans le plan de l’écliptique, où se trouvent les objets du système solaire, notamment ceux de la ceinture principale.

« Pour la plupart des astronomes, les astéroïdes sont considérés comme des nuisibles du ciel : ils traversent le champ de vision et perturbent les données », remarque Julien de Wit, co-auteur principal de cette étude et chercheur au MIT.

Une nouvelle fenêtre sur l’espace

Figure 3 – Illustration d’artiste représentant une myriade de petits astéroïdes de la ceinture principale révélés par le JWST.
Credits: Ella Maru, Ella Maru Studio

La présence de TRAPPIST-1 dans le champ de l’instrument MIRI est une véritable opportunité, car sa sensibilité dans l’infrarouge moyen en fait un outil parfaitement adapté à l’observation des astéroïdes. En lumière visible, on ne perçoit que la lumière solaire réfléchie par l’astéroïde. Si celui-ci est petit et éloigné, le flux lumineux est alors extrêmement faible. En revanche, en infrarouge, on capte la lumière émise directement par l’astéroïde, ce qui augmente considérablement le flux observable. Grâce à son grand pouvoir collecteur et à sa vision infrarouge, le JWST se révèle donc être un instrument idéal pour détecter les petits corps de notre système solaire.

 

En traitant plus de 10 000 images du système TRAPPIST-1 prises par le JWST, l’équipe a identifié huit astéroïdes déjà répertoriés dans la ceinture principale. En approfondissant le traitement des données, ils ont réussi à détecter 138 nouveaux astéroïdes, tous d’un diamètre de quelques dizaines de mètres (cf. Figure 2 b). Ces objets constituent les plus petits astéroïdes jamais observés dans cette région à ce jour, permettant d’explorer une nouvelle population d’astéroïdes (cf. Figure 3).

« C’est une toute nouvelle région de l’espace que nous explorons, grâce aux technologies modernes », ajoute Artem Burdanov, auteur principal de l’étude et chercheur au MIT. « C’est un bon exemple de ce que nous pouvons accomplir en analysant les données différemment. Parfois, les résultats dépassent nos attentes, et c’est le cas ici. »

Les chercheurs prévoient d’exploiter cette méthode pour identifier et suivre de nouveaux géocroiseurs, dont l’orbite croise celle de la Terre.

« Nous avons déjà pu détecter des objets proches de la Terre mesurant jusqu’à 10 mètres lorsqu’ils étaient très près de nous », explique Artem Burdanov. « Nous avons maintenant une façon de repérer ces petits astéroïdes beaucoup plus loin, ce qui nous permet d’effectuer un suivi orbital plus précis, essentiel pour la défense planétaire. »

Des astronomes observent la formation in situ de sphéroïdes dans des galaxies lointaines brillantes en submillimétrique

 

 

S’appuyant sur des avancées techniques et observationnelles, une équipe internationale dirigée par des chercheurs du Département d’Astrophysique de l’IRFU (CEA Paris-Saclay) a élucidé le mystère de la formation des sphéroïdes, que l’on trouve dans les bulbes des galaxies à spirales et dans les galaxies elliptiques géantes. Ces structures, longtemps considérés principalement comme le produit de fusions galactiques tardives dans l’histoire cosmique, pourraient se former aussi directement dans l’Univers lointain. Leur forme sphérique résulterait d’une intense formation d’étoiles induite par un processus dynamique combinant l’accrétion de gaz froid et des interactions galactiques.
Ces découvertes représentent une avancée majeure dans notre compréhension de l’évolution des galaxies, impactant les modèles actuels qui bénéficieront aussi d’observations à haute résolution grâce aux télescopes de dernière génération (JWST, Euclid, etc.).

Cette recherche a été présentée dans un article intitulé « 
In situ spheroid formation in distant submillimetre-bright Galaxies », publié dans la prestigieuse revue Nature.

 

Des limites techniques et observationnelles enfin levées

Figure 1 – Exemples d’images capturées avec le JWST, issues de l’échantillon de galaxies analysé dans cette étude.
Les images en couleur ont été reconstruites en combinant trois filtres : F444W (rouge), F227W (vert) et F150W (bleu). La région délimitée par des pointillés cyan correspond au meilleur ajustement des profils de brillance de surface de l’émission submillimétrique. La barre blanche en bas des vignettes indique l’échelle, tandis que le nom de la source et le décalage vers le rouge (z) des galaxies sont mentionnés en haut de chaque vignette.
Crédit : Tan et al. 2024

Les galaxies de l’Univers se divisent en deux grandes catégories morphologiques. D’un côté, les galaxies spirales, en forme de disques, comme notre Voie Lactée. Elles sont jeunes, riches en gaz et continuent de former des étoiles. De l’autre, les galaxies sphéroïdales, qui incluent les galaxies elliptiques et les bulbes des galaxies spirales. Elles sont dépourvues de gaz, composées d’étoiles très âgées et ne forment quasiment plus d’étoiles ; elles sont comme « mortes ». Si la formation des galaxies spirales est peut-être mieux comprise, celle des galaxies sphéroïdales restait un mystère jusqu’à présent, malgré l’existence de plusieurs théories, qui demeuraient limitées par nos moyens observationnelles et techniques d’avant.

Pour comprendre la formation de ces sphéroïdes, il faut remonter à la naissance des étoiles qui les composent, jusqu’à l’ère du « Midi cosmique », lorsque l’Univers était âgé de 1,6 à 4,3 milliards d’années. À cette époque, de nombreuses galaxies formaient activement des étoiles et étaient riches en poussière et en gaz, les rendant opaques dans le spectre visible, mais extrêmement lumineuses dans les longueurs d’onde millimétriques et submillimétriques. L’arrivée de l’Atacama Large Millimeter/submillimeter Array (ALMA), capable d’observer dans ce domaine du spectre, a donc ouvert la possibilité d’étudier les bulbes galactiques. Ces observations sont complétées par la vision infrarouge du puissant Télescope Spatial James Webb (JWST) qui apporte une vue globale des galaxies (cf. Figure 1).

Cette recherche a également été rendue possible grâce à une avancée technique importante. Dans une publication précédente (Tan et al. 2024, A&A), les chercheurs ont développé une nouvelle méthode pour ajuster des profils de luminosité de surface à des observations interférométriques, comme celles produites par ALMA. Avant cette innovation, l’extraction d’informations à partir de ces données était complexe, et les méthodes existantes introduisaient trop de biais, rendant difficile une analyse approfondie des systèmes sphéroïdaux.

Nouvelles perspectives sur la formation des galaxies elliptiques géantes dans l’Univers primitif

Figure 2 – Schéma illustrant le processus de formation des sphéroïdes dans les galaxies lointaines brillantes en submillimétrique et son lien avec l’évolution des galaxies elliptiques géantes dans l’Univers actuel.
À l’extrême gauche, les images infrarouges capturées par le JWST (voir légende Fig. 1) sont suivies d’un zoom sur leurs régions centrales en submillimétrique, obtenu grâce à ALMA. Le schéma propose également une classification des formes intrinsèques des galaxies. Les paramètres moyens des morphologies sont représentés pour : l’ensemble de l’échantillon étudié (ellipse verte), un sous-échantillon de galaxies compactes en submillimétrique (ellipse orange) et un sous-échantillon de galaxies étendues en submillimétrique (ellipse bleue). Ces paramètres sont comparés à ceux des galaxies locales de type précoce (ellipse rouge) et de type tardif (représentées par des formes spirales violettes et cyan).
Crédit : Tan et al. 2024

Cette étude s’appuie sur des observations ALMA collectées au fil des années par divers projets. Grâce aux projets archivistiques A3COSMOS et A3GOODS, les chercheurs ont pu constituer un échantillon de plus d’une centaine de galaxies à formation stellaire intense, très brillantes dans le domaine submillimétrique, avec un rapport signal/bruit élevé (S/B > 50). Ces galaxies proviennent de l’Univers primitif, alors âgé de seulement 1,6 à 4,3 milliards d’années (redshift entre z = 1,5 et 4). Une telle richesse de données aurait été impossible à obtenir dans le cadre d’une demande classique de temps d’observation, soulignant l’importance de l’exploitation des archives pour des études de cette envergure.

La première découverte concerne la morphologie des composantes submillimétriques au centres de ces galaxies, qui correspondent aux lieux de formation d’étoiles. L’étude indique que la plupart de centres de ces galaxies sont intrinsèquement sphériques, et non en forme de disque comme on le pensait. En effet, les chercheurs ont constaté que l’émission submillimétrique de ces galaxies est très compacte, avec des profils de brillance de surface s’écartant significativement de ceux typiques des disques. Cette conclusion est renforcée par des modélisations détaillées de leur géométrie 3D, qui montrent que le rapport entre les axes les plus courts et les plus longs est en moyenne de moitié, augmentant avec la compacité spatiale (cf. Figure 2).

La deuxième révélation de cette étude concerne le mécanisme de formation des galaxies sphéroïdales. On a longtemps pensé que les sphéroïdes se formaient tardivement dans l’histoire de l’Univers, principalement par coalescence, c’est-à-dire par la fusion de deux galaxies après collision. Cependant, cette étude apporte une perspective nouvelle : on a observé des sphéroïdes se former directement à partir de flambées d’étoiles, probablement dû à l’action simultanée de l’accrétion de gaz froid et des interactions entre galaxies, sans nécessiter de fusion. Ces processus conduisent à une intense formation d’étoiles concentrée dans les cœurs tridimensionnels de ces galaxies, et ce, dès les premières époques de l’histoire cosmique.

Un possible accès aux lieux de naissance des grandes galaxies elliptiques

Figure 3 – Le JWST a récemment permis de dévoiler la véritable nature de la galaxie voisine M104, connue sous le nom de galaxie du Sombrero.
Grâce à sa vision infrarouge, le télescope a pu observer à travers la poussière et le gaz, qui donnaient l’illusion de bras spiraux. Les nouvelles données confirment que le Sombrero est en réalité une galaxie elliptique entourée d’un anneau, avec une formation stellaire très faible (moins d’une masse solaire par an).
Crédit : © (NASA, ESA, CSA, STScI)

Cette étude a fourni les premières preuves observationnelles solides que les sphéroïdes peuvent se former directement grâce à une intense formation d’étoiles, alimentée par l’accrétion de gaz froid et des interactions galactiques simultanées dans les cœurs des galaxies. Ce processus, apparemment très répandu dans l’Univers lointain, constitue un tournant dans notre compréhension de la formation et de l’évolution des bulbes des galaxies a spirales, et peut être aussi des galaxies elliptiques géantes, telles que M87 dans la constellation de la Vierge, dont les sites de naissance étaient recherchés depuis des décennies.

De nouvelles observations ALMA, bénéficiant d’une résolution et d’une sensibilité accrues, combinées aux données d’archives, permettront d’explorer en détail la distribution et la cinématique du gaz froid — la matière première de la formation stellaire — au sein de ces galaxies par le biais d’études statistiques. Par ailleurs, les capacités des télescopes JWST, Euclid et du télescope spatial de la Station Spatiale Chinoise (CSST) pour cartographier les composantes stellaires des galaxies viendront compléter cette approche, offrant une vision plus complète de leur évolution (cf. Figure 3). Ensemble, ces outils promettent de révolutionner notre compréhension de la formation des galaxies dans l’Univers primitif.

En savoir plus :

Trois monstres galactiques dans l’Univers primitif

 

 

Le modèle standard de la cosmologie, fondement de notre compréhension de l’Univers depuis le Big Bang, est-il en danger ? Les récentes observations du télescope spatial James Webb (JWST), menées par une équipe internationale dont fait partie le Département d’Astrophysique du CEA-IRFU, révèlent des galaxies massives dans l’Univers jeune qui ont suscité un vif débat au sein de la communauté scientifique. Alors que certains chercheurs y voient une remise en question de ce modèle, d’autres avancent que ces masses galactiques ont été surestimées, suggérant que des mesures plus précises pourraient résoudre l’énigme sans invalider le modèle standard. Grâce au programme FRESCO, des données spectroscopiques plus précises que les précédentes mesures semblent réconcilier ces galaxies précoces avec les prévisions théoriques. Toutefois, trois cas extrêmes continuent de défier notre compréhension de la formation galactique.

 

Cette découverte a été publiée dans la prestigieuse revue Nature.

 

Le modèle standard de la cosmologie remis en question

Figure 1 : Images des trois galaxies massives et lointaines qui défient notre compréhension de la formation galactique.
Crédits : NASA/CSA/ESA, M. Xiao & P. A. Oesch (Université de Genève), G. Brammer (Niels Bohr Institute), Dawn JWST Archive.

 

Le modèle standard de la cosmologie, également appelé modèle ΛCDM (Lambda Cold Dark Matter), est actuellement le modèle de référence pour décrire l’évolution de l’Univers depuis le Big Bang. Il permet notamment d’expliquer des observations astronomiques telles que le fond diffus cosmologique — un rayonnement provenant de toutes les directions du ciel —, les structures à grande échelle, ainsi que la formation des galaxies en amas.

Ainsi, lorsque les astronomes ont jeté un premier coup d’œil sur la jeunesse de l’Univers grâce au télescope spatial James Webb (JWST) de la NASA, ils s’attendaient à observer des galaxies modestes et en pleine croissance, conformément aux prédictions de ce modèle standard. Or, les scientifiques ont découvert une abondance inattendue de galaxies bien trop massives pour le jeune âge de l’Univers.

Depuis lors, deux communautés scientifiques s’opposent : d’un côté, ceux qui estiment que ces découvertes révèlent des lacunes dans le modèle standard de la cosmologie, nécessitant sa remise en question complète ; de l’autre, ceux qui contestent les mesures de masses galactiques, jugées surestimées car fondées uniquement sur des observations photométriques insuffisamment précises. Selon ces derniers, il faudrait plutôt ajuster les modèles de croissance galactique sans pour autant remettre en cause le modèle standard.

Le programme d’observations FRESCO apporte de nouveaux éléments de réponses

Figure 2 : Images et spectres des trois galaxies ultra-massives et primitives (Z ∼ 5 – 6) observées par le programme d’observation FRESCO utilisant l’instrument NIRCam du JWST.
Les images à gauche ont été prises avec trois filtres NIRCam (1,82 µm, 2,10 µm et 4,44 µm), puis combinées en couleur (F182M en bleu, F210M en vert et F444W en rouge), accompagnées de la carte en Hα. À droite, les spectres 1D (couvrant les lignes d’émission Hα, [NII] et [SII]) ont été obtenus avec le grisme NIRCam et le filtre F444W. Les zones grises montrent l’incertitude associée à 1 sigma, et la ligne bleue représente le modèle qui ajuste au mieux les données.
Crédits : Xiao et al. 2024.

 

C’est dans ce contexte qu’une équipe internationale, incluant des astronomes du Département d’Astrophysique du CEA Paris-Saclay, apporte de nouvelles explications grâce au programme d’observation FRESCO. L’objectif de ce programme est de mesurer avec précision la masse des premières galaxies à l’aide de l’instrument NIRCam/grism du JWST, qui permet des mesures spectroscopiques à haute résolution, bien plus précises que les précédentes mesures photométriques (voir Figure 2).

« NIRCam nous permet d’identifier et d’étudier la croissance des galaxies au fil du temps, et d’obtenir une image plus précise de l’accumulation de la masse stellaire au cours de l’histoire cosmique », explique Pascal Oesch, professeur assistant au Département d’astronomie de l’UNIGE, principal investigateur de ce programme d’observation et co-auteur de cette nouvelle étude.
« Seul le télescope James Webb a la capacité de mesurer la masse stellaire des galaxies à des époques aussi reculées, jusqu’à un milliard d’années après le Big Bang, car la lumière y est décalée vers l’infrarouge », explique David Elbaz, directeur scientifique du Département d’Astrophysique au CEA Paris-Saclay et co-auteur de l’article.

Le programme d’observation FRESCO apporte de nouveaux éléments de réponses

Figure 3 : Comparaison des masses de galaxies massives et lointaines en fonction de leur décalage vers le rouge (Z), mesurées par photométrie et spectroscopie, par rapport aux attentes théoriques du modèle standard de la cosmologie (ΛCDM).
Les cercles gris représentent les galaxies rapportées dans la littérature, avec celles dont le décalage vers le rouge (Z) a été mesuré uniquement par photométrie (carrés vides gris). Les cercles rouges vides correspondent aux 36 galaxies observées dans le cadre du programme FRESCO, dont les décalages vers le rouge ont été mesurés précisément par spectroscopie grâce au JWST. Les barres d’erreur montrent les incertitudes des mesures. Les lignes rouges et bleues indiquent la masse maximale des galaxies attendue selon le modèle ΛCDM, en fonction de l’efficacité de conversion des baryons en étoiles (Epsilon = 1 et 0,2, respectivement), tandis que la ligne noire représente la limite supérieure du modèle. Les cercles rouges pleins correspondent aux trois galaxies qui défient nos théories de formation galactique. Bien qu’elles restent compatibles avec le modèle ΛCDM, ces galaxies ultra-massives présentent une efficacité de formation stellaire moyenne de Epsilon ∼ 0,5, ce qui suggère une conversion très efficace des baryons en étoiles, difficilement explicable avec les modèles actuels.
Crédits : Xiao et al. 2024

 

En utilisant les données du programme FRESCO, l’équipe de chercheurs a ainsi pu mener une étude systématique de 36 galaxies massives. L’analyse suggère que la majorité des galaxies ultra-massives dans la jeunesse de l’Univers sont compatibles avec le modèle cosmologique standard, à l’exception de trois d’entre elles, qui représentent un défi potentiel et remettent en question les modèles de formation galactique (voir Figure 3).

« Ces galaxies présentent des taux de formation d’étoiles proches de 1 000 masses solaires par an, des niveaux qui ne peuvent s’expliquer que par un processus de formation extrêmement efficace, que les modèles actuels ne parviennent pas à reproduire », affirme Dr. Mengyuan Xiao, post-doctorante au Département d’astronomie de l’UNIGE et première autrice de l’étude.

La remise en cause du modèle standard cosmologique semble donc s’éloigner. En effet, les nouvelles observations plus précises des masses galactiques permettent de réconcilier les observations avec les prédictions du modèle standard. Cependant, l’existence de ces trois galaxies ultra-massives si tôt dans l’histoire de l’Univers défie notre compréhension de la formation des galaxies dans l’Univers jeune.

« Ces résultats suggèrent que parmi les premières galaxies, certaines étaient capables de convertir le gaz en étoiles avec une efficacité extrême, bien au-delà de ce que prédisent les modèles actuels. Les futures observations avec le JWST et l’Atacama Large Millimeter Array (ALMA) seront essentielles pour déterminer si ces galaxies ultra-massives représentent un cas isolé ou un phénomène plus répandu », enchérit la chercheuse.

« Il va maintenant falloir comprendre comment l’univers a formé des galaxies plus massives que la Voie lactée il y a près de 13 milliards d’années, soit environ un milliard d’années après le big bang », conclut David Elbaz

 

JWST détecte de nouvelles molécules à la surface de Charon, le plus gros satellite de Pluton

 

Une étude à laquelle le CNRS Terre & Univers a participé vient de révéler la présence de nouvelles molécules à la surface de Charon, le plus gros satellite de Pluton, grâce aux observations du télescope spatial James Webb (JWST). Alors qu’une mission de la NASA, New Horizons, avait déjà permis de cartographier cette lune en 2015, les récentes observations de JWST ont permis de détecter pour la première fois du dioxyde de carbone et du peroxyde dhydrogène à sa surface, enrichissant ainsi notre compréhension de sa composition chimique.


Cette découverte a été publiée dans la prestigieuse revue Nature.

 

Spectre de la lumière réfléchie par la surface de Charon, obtenu par la mission New Horizons (en rose) et JWST (blanc), mettant en évidence les signatures du CO2 et du H2O2. Arrière-plan: vue de Charon observée par New Horizons. 
Crédits : S.Protopapa/SwRI/NASA/ESA/CSA/STScI/JHUAPL
Contrairement à d’autres objets de la ceinture de Kuiper comme les planètes naines, la surface de Charon n’est pas recouverte de glaces volatiles comme le méthane, ce qui rend sa composition globale plus accessible aux analyses. Les découvertes permises par JWST ouvrent la voie à l’étude approfondie des processus qui façonnent les surfaces de ces objets glacés. Ainsi, la présence de peroxyde d’hydrogène montre que la surface de Charon, riche en glace d’eau, subit des modifications causées par la lumière ultraviolette du Soleil, et les particules énergétiques du vent solaire et des rayons cosmiques. Pour le dioxyde de carbone, l’interprétation privilégiée est que le CO2 de la couche supérieure provient de l’intérieur et a été exposé à la surface par des cratères. On sait que le dioxyde de carbone est présent dans les régions du disque protoplanétaire à partir desquelles le système plutonien s’est formé.
 

Ces informations fournissent un aperçu précieux sur l’évolution chimique et physique des objets glacés dans les régions les plus éloignées du système solaire.

 

En savoir plus :

Le JWST découvre les étoiles de la branche géante asymptotique dans des galaxies lointaines quiescentes

 

 

La compréhension des diverses populations stellaires constituant les galaxies est cruciale pour étudier la formation de ces dernières à travers le temps cosmique. Néanmoins, des irréductibles étoiles résistent encore et toujours aux modélisateurs ! Leur nature complexe et leur courte durée de vie rendent les étoiles de la branche asymptotique des géantes thermiquement pulsantes (TP-AGB) difficiles à modéliser, un sujet de débat depuis des décennies. Le télescope spatial James Webb permet enfin de lever le voile sur leur contribution au spectre des galaxies lointaines. Ces découvertes ont des répercussions sur la détermination de l’âge et de la masse stellaire des galaxies, ainsi que sur la production de poussière cosmique et l’enrichissement chimique.

Cette découverte vient d’être publiée dans la prestigieuse revue Nature.

 

Les étoiles TP-AGB – le chainon manquant pour l’étude des galaxies

Figure 1 – Comparaison des modèles de spectres de différentes populations stellaires. La connaissance de ces modèles est essentielle car ils permettent de déduire des informations clés telles que l’âge et la masse d’une galaxie.

Crédit : Lu et al. 2024

Pour comprendre la formation et l’évolution des galaxies, les chercheurs utilisent les populations stellaires qui les composent en comparant les spectres des galaxies observées à des modèles stellaires basés sur des observations et théories.


Bien que la plupart des phases d’évolution des étoiles sont bien modélisées, les étoiles TP-AGB, des géantes asymptotiques à pulsation thermique, restent une source d’incertitude. En effet, avec une durée de vie courte (entre 0,6 et 2 milliards d’années) et une évolution rapide du fait de phénomènes complexes comme la perte de masse et les pulsations thermiques, ces étoiles sont particulièrement difficiles à modéliser.


La contribution des étoiles froides TP-AGB à l’émission infrarouge des galaxies fait ainsi l’objet d’une controverse depuis longtemps. Si leur contribution est significative, cela pourrait diminuer les estimations d’âge et de masse des galaxies, en particulier pour celles âgées d’environ 1 milliard d’années, fréquemment observées dans l’univers lointain. Une telle révision aurait des répercussions majeures sur notre compréhension de la formation et de l’évolution des galaxies (voir Figure 1).


Premières signatures claires d'étoiles TP-AGB révélées par le télescope spatial James Webb

Figure 2 – Le spectre révèle de nombreuses absorptions larges ainsi que des discontinuités spectrales, signatures caractéristiques des étoiles TP-AGB. Il s’agit de la première détection de ces étoiles dans le spectre d’une galaxie lointaine. 

Crédit : Lu et al. 2024

Les étoiles TP-AGB sont des astres froids qui présentent des signatures spectrales distinctives dans le proche infrarouge (0,5-2 microns), notamment des bandes d’absorption larges et des discontinuités causées par diverses molécules. Dans le cas où ces étoiles contribueraient de manière significative à la lumière d’une galaxie, ces caractéristiques spectrales devraient être facilement détectables.

 

Une équipe de chercheurs dirigée par le Département d’Astrophysique du CEA-Saclay a utilisé des observations du télescope spatial James Webb (JWST) dont la sensibilité dans l’infrarouge est idéale pour détecter ces étoiles dans les galaxies quiescentes jeunes (∼ 1 milliard d’années) et lointaines (z = 1–2). Les chercheurs ont sélectionné trois galaxies issues du programme CEERS (JWST NIRSpec Cosmic Evolution Early Release Science), dont l’une, beaucoup plus lumineuse que les autres, offrait un spectre de haute qualité.

 

Le spectre de cette galaxie, nommée D36123, a révélé des signatures claires d’étoiles TP-AGB riches en oxygène et en carbone, avec une contribution importante à la lumière de la galaxie (voir Figure 2). Les deux autres galaxies, bien que présentant un spectre de qualité inférieure, confirment ces observations.

Les modèles de synthèse stellaire intégrant une contribution significative des étoiles TP-AGB s’ajustent mieux aux spectres observés, indiquant que ces galaxies pourraient être moins massives et plus jeunes que prévu initialement. Ces résultats ont également des implications pour la production de poussière cosmique et l’enrichissement chimique des galaxies.

 

De futures observations pour contraindre les modèles

Figure 3 : Planification des nouvelles observations de galaxies quiescentes avec le JWST. Les carrés bleus indiquent les champs d’observation prévus avec l’instrument NIRSpec du JWST, tandis que les points rouges représentent les galaxies quiescentes brillantes, telles que D36123.
Crédit : Lu et al. 2024

La galaxie D36123 est unique et n’a pas d’analogue connu dans l’Univers proche, offrant un premier aperçu de l’émission des étoiles froides dans les galaxies lointaines. Cette découverte met fin au débat sur leur présence dans les galaxies âgées de plusieurs milliards d’année. Toutefois, même le modèle qui correspond le mieux aux données ne parvient pas à expliquer toute la richesse des signatures spectrales détectées. Un échantillon plus vaste d’observations similaires est donc crucial pour déterminer si les caractéristiques de la galaxie D36123 sont exceptionnelles ou si elles reflètent des propriétés communes des galaxies quiescentes.

L’équipe de chercheurs a d’ailleurs obtenu de nouvelles observations avec le JWST pour approfondir ces questions. A plus long terme, l’équipe envisage d’observer ces galaxies à plus grande longueur d’onde afin d’obtenir de meilleurs modèles stellaires, guidés par les observations actuelles et futures.

Découverte et étendue de glaces de CO₂ et CO dans la région transneptunienne

 

Un grand programme d’observation du télescope spatiale James Webb a récemment fourni la première vue d’ensemble des Objets Trans-Neptuniens (OTNs), les petits corps primitifs de notre système solaire externe, orbitant au-delà de Neptune, d’où sont issus une partie des comètes. Les observations de 59 objets obtenues avec l’instrument NIRSpec ont été analysées par une équipe de recherche internationale impliquant l’Institut d’Astrophysique Spatiale et le Laboratoire de Géologie de Lyon. Les spectres infrarouges révèlent les toutes premières détections de glaces de CO₂ et de CO sur des petits corps du système solaire externe.

 

L'intérêt de l'étude des objets transneptuniens

Impression d’artiste d’un objet de la ceinture de Kuiper (KBO), appelé aussi objets transneptuniens (OTN). Il s’agit de petits corps primitifs de notre Système solaire externe, orbitant au-delà de la planète Neptune.
Crédits : NASA, ESA, and G. Bacon (STScI)

Les OTNs étant formés assez loin du Soleil, ils regorgent encore d’informations concernant leur formation il y a plus de 4 milliards d’années, à l’inverse des planètes naines comme Pluton qui pourraient avoir subi une évolution interne majeure. Les OTNs ont également été témoins de processus de migration planétaire qui les ont, pour la majorité, redistribués loin de leur région de formation. 

 

Caractériser leur composition permettrait de reconstruire une image du jeune système solaire externe avant cette réorganisation drastique. Mais, jusqu’à présent, les observations des OTNs étaient limitées, livrant une caractérisation très partielle de leur composition chimique : seules les glaces d’eau et de méthanol avaient été détectées sur une poignée d’objets.

 

Un cocktail de molécules inattendu !

Spectre infrarouge de la surface d’un objet trans-neptunien avec mise en avant des bandes d’absorption fondamentales de CO₂ et CO.
Crédits : William Gonzalez Sierra, Florida Space Institute.

Contre toute attente, le CO₂ est très répandu, présent sur 95% des objets dans des proportions pourtant variables. Remarquablement, du ¹³CO₂ est également détecté ce qui ouvre la possibilité d’étudier le rapport isotopique du carbone à travers le système solaire externe. Alors que le CO n’est pas stable dans la région transneptunienne, il est pourtant détecté conjointement au CO₂ sur 47% des objets. 

 

Cette diversité de composition, traduite par les variations d’abondance mais également d’état physico-chimique de la glace, va permettre de retracer l’histoire des OTNs pour retrouver leur lieu de formation dans le disque protoplanétaire, en différenciant son influence de celle de processus d’évolution plus tardifs. En effet, si le CO₂ a pu être hérité du disque protoplanétaire, le CO serait plus probablement formé par le vent solaire et les rayons cosmiques qui bombardent continuellement ces surfaces glacées sans atmosphère.

 

 

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