SN 1987A, Première Star des observations du JWST

SN 1987A est une supernova qui a explosé dans le Grand Nuage de Magellan, une galaxie naine proche de la Voie lactée à environ 164500 années-lumière (1,6 milliard de milliards de kilomètres), ce qui en fait la supernova la plus proche observée depuis la supernova dite de Kepler en 1604 (lequel, pour des raisons météo n’a pu l’observer que bien après son apparition – il pleuvait sur Prague !), qui avait eu lieu dans notre Voie lactée, peu après la supernova de Tycho Brahe, qui lui était sur place à l’abbaye de Herrevad, ce qui lui a permis de l’observer en novembre 1572. L’objet n’est pas dans cet article de revenir sur ces évènements historiques, tellement passionnants, mais de souligner le fait qu’il a fallu attendre près de 400 ans pour qu’un terrien puisse observer un tel évènement. J’ai eu moi-même, l’incroyable (inespérée !) chance de voir de mes yeux nus cette supernova, depuis la Cordillère des Andes.

En effet, le Grand Nuage de Magellan n’est visible que depuis l’hémisphère sud. Pour le lecteur qui s’y intéresserait, il convient de souligner que le nom des Petit et Grand Nuage de Magellan ont pris ces appellations car contrairement à ce que l’on peut observer dans l’hémisphère Nord ou le pôle est fléché par une étoile, rien de tel dans l’hémisphère austral. A l’époque où le GPS n’existait pas, les navigateurs utilisaient un sextant pendant la journée (il fallait voir l’horizon) mais gardaient leur route la nuit en fonction des étoiles. Il y avait deux nuages dans le ciel. On ne parlait pas encore de galaxie, on n’en connaissait pas même le concept ! Magellan fut le premier à se rendre compte que pour savoir où était le pôle sud, il suffisait de construire un triangle équilatéral dont deux points seraient le centre de ces nuages et le troisième le pôle. C’était remarquablement ingénieux. Et précis !

Vue d’artiste de la Supernova SN1987A et son environnement proche après les observations réalisées avec ALMA (Crédits ESO/NAOJ/NRAO/ Alexandra Angelich)

Figure 1 – Vue d’artiste de la Supernova SN 1987A et son environnement proche après les observations réalisées avec ALMA (Crédits ESO/NOAO/NRAO/Alexandra Angelich)

 

Après cette diversion, revenons à la supernova SN 1987A.  Les premières observations du phénomène ont été faites quelques heures à peine après que son éclat eut atteint la Terre, dans la nuit du 23 février 1987 par plusieurs astronomes amateurs et professionnels d’Amérique du Sud, d’Australie et de Nouvelle-Zélande. Très tôt, les premiers neutrinos furent détectés, ce qui fut une première, et confirmait d’une manière spectaculaire les théories en vigueur qui prévoyaient la formation d’une étoile à neutrons. De plus, ces détections laissaient augurer qu’une nouvelle ère de l’astrophysique allait commencer. Force est de constater que nous devrons attendre pour cela de détecter plus de neutrinos naissants de phénomènes astrophysiques.

Nous nous attendions à ce que cette supernova devienne très brillante, mais il faut reconnaître que nos espoirs ont été quelque peu déçus. Très vite les théoriciens ont réalisé que ceci était dû au fait que l’étoile qui s’effondrait était une géante bleue. On nous avait inculqué à l’école que ce genre d’implosion (et non pas d’explosion) ne pouvait provenir que de la fin de vie d’une super-géante rouge. Première anomalie, vite expliquée par les mêmes théoriciens.  Mais aussi première découverte. L’évolution de super géante bleue en supernova s’explique par une perte de masse avant son explosion, ce qui peut se traduire par un passage de supergéante rouge à supergéante bleue. Cette théorie a été confirmée par la présence de trois anneaux de gaz autour de SN 1987A.


La seconde découverte, de toute importance, fut d’observer que de la poussière avait pu se condenser dans cet environnement extrêmement violent, 400 jours après l’implosion. La présence de molécules dans les débris a été mise en évidence très vite après l’évènement (100 jours après, environ). S’en est suivie, en août 1988, la découverte d’une condensation de poussières grâce aux observations conduites dans l’infrarouge à l’ESO (l’Observatoire Européen Austral, situé au Chili). Mais plus tard, à partir d’observations réalisées avec le satellite infrarouge Herschel en 2010, puis confirmée par le radio télescope submillimétrique ALMA de l’ESO en janvier 2014, la présence d’une énorme quantité de poussières froides dans les débris (0,25 masse solaire!) a non seulement surpris la communauté astronomique mais a aussi ravivé le débat sur l’origine des poussières dans l’Univers primordial. Mais nous ignorons encore la composition de ces poussières froides. Une des grandes questions de l’astrophysique actuelle avait-elle trouvé une réponse ? D’où proviennent les premières poussières, puisque nous savions que celles libérées par des étoiles cacochymes n’étaient arrivées que fort tard (l’évolution des étoiles prend un certain temps). La quantité de poussières détectées semblait pourtant bien inférieure à celle qui pourrait répondre à la question : ces poussières résultaient-elles de celles détectées en 1988, ou avait-elles une autre origine ? Nous n’en savions rien !


La morphologie particulière de ces anneaux est une des principales caractéristiques de SN 1987A. Les deux anneaux extérieurs et l’anneau intérieur (plus petit) forment une sorte de « sablier », l’anneau intérieur formant le col. Le télescope spatial Hubble a permis de dater l’éjection de matière les constituant à environ 20 000 ans avant l’explosion. Deux étoiles brillantes se trouvent près des anneaux extérieurs, sans aucun lien avec le système ; les éjectas observés apparaissent en vert. SNR signifie « Restes de la Supernova » (SuperNova Remnant, en anglais).

Figure 2 – La morphologie particulière de ces anneaux est une des principales caractéristiques de SN 1987A. Les deux anneaux extérieurs et l’anneau intérieur (plus petit) forment une sorte de « sablier », l’anneau intérieur formant le col. Le télescope spatial Hubble a permis de dater l’éjection de matière les constituant à environ 20 000 ans avant l’explosion. Deux étoiles brillantes se trouvent près des anneaux extérieurs, sans aucun lien avec le système ; les éjectas observés apparaissent en vert. SNR signifie « Restes de la Supernova » (SuperNova Remnant, en anglais).

Des études montrent que la poussière interstellaire est née très tôt dans l’histoire de l’univers, avant même que ne s’enclenchent les processus classiques de formation de la poussière interstellaire, les nébuleuses planétaires. Tous les regards sont tournés vers l’explosion des étoiles massives dont on sait qu’elles ont eu lieu rapidement et SN1987A nous offre un laboratoire idéal pour aborder cette question. Avec MIRI nous espérons enfin savoir si la poussière résiste à l’onde de choc de l’explosion, si de la poussière naît dans une supernova, où et comment.

Quel type de poussière nait dans une supernova ? La question peut sembler anecdotique, mais quand on sait que les molécules naissent à la surface des grains de poussière, c’est l’origine de la complexité dans l’univers qui se joue ici.

En 1991, le télescope Spatial Hubble nous fit découvrir un système de 3 anneaux autour de la supernova (voir figures 2 et 3). L’anneau intérieur (formé de poussières mais surtout de gaz) reste encore très brillant alors que tous les modèles prédisaient qu’à l’heure des observations du JWST (le « James Webb Space Telescope »), il aurait cessé d’être aussi lumineux. C’est sans doute que la destruction des poussières n’a pas été aussi efficace que ce que prévoyait la théorie, et que l’onde de choc n’a pas affecté le gaz. De toutes manières, pour étudier les poussières, il faut observer en infrarouge ! C’est un peu pour cela qu’a été conçu le JWST.

Les étoiles massives donnent naissance à des supernovae lorsque leurs enveloppes et leurs cœurs collapsent, par manque de combustion centrale, et que le fer, dernier élément à avoir été synthétisé, ne peut plus être consumé. L’implosion est suivie d’un rebond des couches externes de leurs atmosphères sur ce cœur de fer. Il en résulte une étoile à neutron, un pulsar, voire un trou noir. Un autre type de supernovae, totalement différent, celles qui sont utilisées pour calculer des distances cosmologiques, et qui nous ont permis de constater que l’expansion de l’univers s’était accélérée 7 milliards d’années après le Big Bang, sont le résultat d’une déflagration. D’elles, il n’en reste plus rien.

Figure 3 – L’onde de choc produite par l’explosion en atteignant l’anneau équatorial intérieur (formé par des poussières – et de gaz- quelques 20000 ans avant l’implosion) a formé au fil des années un magnifique collier de perle! L’intensité lumineuse de ce collier a commencé à décroître à partir de 2014, lorsque l’onde de choc passait au-delà de l’anneau (images HST ; crédit NASA)

L’excellente résolution angulaire et l’extrême sensitivité des instruments du JWST, en particulier MIRI, en font le seul observatoire capable d’observer la distribution des poussières dans le milieu circumstellaire autour de SN1987A et dans les éjectas. D’autre part, l’étoile à neutron (ou le pulsar ?) qui s’est formée au moment de l’implosion de la supernova n’a toujours pas été détectée. Des modèles théoriques prévoient qu’elle pourrait l’être avec des observations effectuées dans l’infrarouge thermique. Si tel est le cas, seul MIRI pourrait nous offrir le luxe de cette découverte !

Le milieu déjà perturbé par le passage de l’onde de choc est maintenant affecté par une onde de choc inverse qui s’approche des régions externes de l’éjecta. S’il est vrai que l’étude de SN 1987A nous a en général permis de confirmer, voire affiner, la théorie, des inconnues demeurent : par exemple, quelle est l’origine des structures circumstellaires observées ? Que pouvons-nous apprendre sur le milieu interstellaire avant même que l’étoile qui a implosé se soit formée ? Quel est le mécanisme responsable de l’émission observée dans l’infrarouge thermique, attribuée à la présence de poussières? Celles qui s’étaient condensées dans l’éjecta peu après l’explosion sont-elles maintenant détruites par cette onde de choc inverse ? Que reste-t-il au cœur de l’explosion ? Pouvons-nous détecter l’étoile à neutrons, le pulsar, qui résulte de l’évènement ? Les réponses dépendent fortement de celle que nous donnerons à une question fondamentale qui, 30 ans après l’explosion, reste toujours très débattue: l’étoile qui a donné naissance à SN 1987A faisait-elle partie d’un système binaire ?

Seule la combinaison d’observations multi longueurs d’onde, des rayons-X aux ondes radio, peut nous permettre de dresser un état des lieux du milieu circumstellaire et de comprendre les mécanismes actuellement en jeu. Le JWST fait partie de cet ensemble avec NIRCam et NIRSpec dans le proche infrarouge, et MIRI dans l’infrarouge thermique. Le HST (Télescope de Hubble) continue à observer la supernova dans les longueurs d’onde visibles, comme le complexe ALMA le fait dans les ondes submillimétriques. Quelques questions se posent : Y aura-t-il des signatures spectrales de NIRSpec sur la dynamique du choc, sur des raies atomiques ? NIRCam va-elle nous révéler de nouvelles structures, et nous permettra-t-elle de quantifier des variations de température ? L’enquête est ouverte et va sans aucun doute poursuivre son cours pendant plusieurs années.

Il reste que le JWST fait donc le pont entre la vision que nous dans le domaine visible le HST et les découvertes extraordinaires réalisées par ALMA aux très grandes longueurs d’onde : en ce sens il est absolument essentiel pour l’étude des phénomènes physiques qui régissent maintenant les restes de SN 1987A !

Du temps d’observation GTO (« Guaranteed Time Observations ») a été attribué aux équipes qui ont construits des instruments, délivré des composants électroniques, des logiciels, ou on fait profiter le projet de leurs compétences techniques ou interdisciplinaires. Dans ce cadre préétabli, SN 1987A a été l’une des cibles prioritaires pour les observations effectuées par MIRI, le seul instrument (conçu et fabriqué au CEA) des quatre embarqués sur l’observatoire qui observe dans des grandes longueurs d’onde (infrarouge thermique). Les premières données sont extraordinaires du point de vue esthétique, mais elles nécessitent un traitement spécifique qui sera fait prochainement fait au CEA, ce qui permettra d’ajouter de la physique à la beauté.  

La figure 4 nous montre les premières données obtenues avec le JWST à quatre longueurs d’onde (5.6, 10, 18, et 25.5 micron). Au vu de ces premières images, rien de très nouveau, apparemment, que nous ne connaissions déjà. Sinon le fait que l’émission dans la région Nord-Est de l’anneau domine toujours et encore la luminosité globale, alors que les modèles théoriques prévoyaient qu’elle aurait dû disparaître).  Ces premières images, non encore traitées, mais déjà spectaculaires, nous disent surtout qu’une plus profonde analyse devrait nous permettre de rajouter à l’esthétique une étude scientifique appropriée. Le département d’Astrophysique du CEA, auquel appartient le Centre d’Expertise JWST/MIRI (MICE) au sein de l’IRFU a déjà commencé à s’atteler à la tâche.


Figure 4 – Ces premières images de MIRI obtenues le 18 juillet 2022 aux longueurs d’onde de 5,6, 10, 18, et 25,5 micron n’ont pas encore été traitées. Le Département d’Astrophysique du CEA s’y emploie activement !