MIRI nous délivre une nouvelle image saisissante d’une paire d’étoiles WR.

Une nouvelle image du JWST révèle une vision cosmique remarquable : au moins 17 anneaux de poussière concentriques éjectés d’une paire d’étoiles. Situé à un peu plus de 5000 années-lumière de la Terre, le duo est collectivement connu sous le nom de Wolf-Rayet 140. Chaque anneau a été créé lorsque les deux étoiles se sont rapprochées et leurs vents stellaires (courants de gaz qu’ils soufflent dans l’espace) se sont rencontrés, comprimant le gaz et formant de la poussière. Les orbites des étoiles les rassemblent environ tous les 7,93 ans ; comme les anneaux du tronc d’un arbre, les boucles de poussière marquent le passage du temps.

Une étoile Wolf-Rayet est une étoile de type O (donc très chaude en sa superficie) née avec une masse d’au moins 25 fois plus que notre Soleil qui approche de la fin de sa vie. Elle s’effondrera d’après les théories en vigueur et communément acceptées, et explosera en supernova, donnant naissance à un trou noir. Ces retards entre les périodes de production de poussières créent un schéma circulaire unique. Certaines binaires Wolf-Rayet dans lesquelles les étoiles sont suffisamment rapprochées produisent de la poussière en continu, formant souvent un motif de roue d’épingle.

En plus de la sensibilité globale du JWST, il convient de souligner que l’instrument MIRI (à forte connotation Française à travers le CEA sous l’égide du CNES) est particulièrement qualifié pour étudier les anneaux de poussière. Ces anneaux sont également appelés coquilles par les astronomes parce qu’ils sont plus épais et plus large qu’ils apparaissent dans l’image.

Le spectromètre de MIRI a révélé la composition de la poussière. Une étoile de Wolf-Rayet génère des vents puissants qui poussent d’énormes quantités de gaz dans l’espace. L’étoile Wolf-Rayet dans cette paire particulière peut avoir perdu plus de la moitié de sa masse originale par ce processus.

Transformer le gaz en poussière, c’est un peu comme transformer la farine en pain. Cela nécessite des conditions et des ingrédients spécifiques. L’hydrogène, l’élément le plus commun dans les étoiles, ne peut pas former de poussière par lui-même. Mais parce que les étoiles Wolf-Rayet perdent tellement de masse, elles éjectent aussi des éléments plus complexes généralement trouvés profondément dans l’intérieur d’une étoile, y compris le carbone. Les éléments lourds dans le vent refroidissent en voyageant dans l’espace et sont ensuite compressés où les vents des deux étoiles se rencontrent, comme lorsque deux mains pétrissent la pâte.

Certains autres systèmes Wolf-Rayet forment de la poussière, mais aucun n’est connu pour faire des anneaux comme Wolf-Rayet 140. Le motif d’anneau unique se forme parce que l’orbite de l’étoile Wolf-Rayet 140 est allongée, et non pas circulaire. Ce n’est que lorsque les étoiles se rapprochent – à peu près à la même distance entre la Terre et le Soleil – et que leurs vents entrent en collision que le gaz sous une pression suffisante forme des poussières. Avec des orbites circulaires, les binaires Wolf-Rayet peuvent produire de la poussière en continu.

L’arrière-plan de cette image de l’étoile Wolf-Rayet 140 est noir. Une paire d’étoiles brillantes domine le centre de l’image, avec au moins 17 anneaux de poussière concentriques rose-orange. Tout au long de la scène nous pouvons apercevoir une gamme de galaxies lointaines, dont la majorité sont très minuscules et rouges, qui apparaissent comme des taches sur le fond du ciel.

L’élément le plus commun trouvé dans les étoiles, l’hydrogène, ne peut pas former de poussière par lui-même. Mais les étoiles Wolf-Rayet dans leurs derniers stades ont emporté tout leur hydrogène. Elles peuvent donc éjecter des éléments typiquement trouvés profondément dans l’intérieur de l’étoile, comme le carbone, l’oxygène, le silicium etc.. qui peuvent former de la poussière. Les données du spectromètre à moyenne résolution (MRS) de MIRI montrent que la poussière produite par WR 140 est probablement constituée d’une classe de molécules appelées hydrocarbures aromatiques polycycliques (PAH), qui sont un type de carbone organique , en fait des composés riches qui sont pensés enrichir la teneur en carbone dans tout l’Univers.

Le traitement initial des données de WR 140 comprenait huit “pointes” lumineuses de lumière émanant du centre de l’image. Ce ne sont pas des caractéristiques du système, mais des artefacts du télescope lui-même. Elles ont été supprimées de l’image, afin de produire une vue spectaculaire de la scène digne des meilleurs scénarios de science-fiction. .

Crédit NASA/ESA/CSA/STScI/JPL-Caltech

Il est toujours bon de souligner que plusieurs chercheurs français font non seulement partie de l’équipe qui a soumis ce programme d’observation, mais qui ont été partie prenante dans les analyses et les publications.

Ainsi, Anthony Soulain, de l’Université de Grenoble, co-auteur de l’article, et moteur de cette recherche nous exprime son sentiment avec des détails aussi précieux que rares (que nul lecteur français ou autres ne trouveront sur les sites de la NASA). 

“L’arrivée du JWST ouvre des portes jusque là insoupçonnées. Je travaille sur ces objets depuis maintenant 6 ans, et j’avoue que personne  ne croyait pouvoir voir à l’image aux 17 anneaux. Pour ma part, j’ai travaillé sur le modèle géométrique de cet objet lorsque j’étais à Sydney, et nous avions prédit une telle signature à partir de données obtenues à travers le monde sur les 20 dernières années. Donc lorsqu’on a « collé » le modèle sur les données JWST, c’était juste WOW!!!

Sur les aspects MIRI et l’infrarouge moyen, la sensibilité offerte par le JWST permet d’imaginer des projets beaucoup plus ambitieux. Dans l’idée, on voudrait observer l’ensemble des Wolf-Rayet productrice de poussières, en dresser le portait chimique et comprendre comment ces dernières enrichissent les Galaxies. On est au début de quelque chose, et l’ensemble des instruments actuels et futurs nous aideront pour retracer l’origine des briques élémentaires nécessaires pour forger les planètes, et tout ce qui en découle. Car c’est là l’élément phare de ces étoiles monstres Wolf-Rayet:  elles pourraient être  responsables d’une part non négligeable de la poussière (petit agrégat de matière mesurant quelque dizaine de nanomètres jusqu’à plusieurs microns) dans les galaxies, et oui rien que ça.
 
Ensuite, dans le cadre du projet Wolf-Rayet Dusters, qui a permis d’explorer les premieres données JWST, nous avons également accès à un petit sous-système nommé SAM (Sparse Aperture Masking) sur l’instrument canadien NIRISS. Ce mode nous offre en fait le premier accès scientifique à l’interférométrie spatiale. On connait l’interférométrie depuis longtemps, où l’on peut combiner plusieurs télescopes et obtenir l’information correspondante à la plus grande separation entre ces télescopes: un super télescope en quelque sorte. C’est d’ailleurs la seule et unique technique qui permet d’obtenir des images à très haute résolution angulaire. Même le JWST ou le future ELT de l’Observatoire Européen (ESO) fait moins bien. C’est cette technique qui a permis (dans le domaine des ondes radio) d’obtenir la fameuse image du trou noir au centre de la Voie Lactée.
 
Bref, avec SAM (oui c’est un nom plutôt AMIcal** 🙂) , on a ajouté une petite plaquette trouée (7 petites ouvertures pour être précis) sur le chemin de lumière du JWST pour recréer artificiellement un mini interféromètre. Et ce petit mode est réellement prometteur, on travail actuellement sur des données SAM concernant un système similaire à WR140 (WR137), et la précision, la sensibilité et la robustesse est sans commune mesures avec ce qu’on peut faire depuis le sol. En étant en charge du logiciel de réduction de données de ce « petit »  mode, je pense qu’on va avoir beaucoup de travail dans les années à venir et beaucoup de jolies choses à découvrir: des petites planètes très proches de leurs étoiles, des coeurs actifs de Galaxie, des disques et autre spirale de poussière autour d’étoiles, et bien d’autres. La France à une histoire toute particulière avec interférométrie, c’est quand même l’illustre français Antoine Labeyrie qui a mis au point cette technique dans le sud de la France dans les années 70. Et depuis, la France a fait perdurer cet heritage en construisant ou participant aux instruments interférométriques les plus performants du globe (MIDI, AMBER, PIONIER, GRAVITY, MATISSE…). Avec l’interférométrie dans l’espace et le JWST, c’est une nouvelle page qui s’ouvre et j’espère que la communauté française et moi-même y prendront part entièrement.
 
**AMI est l’abréviation anglaise pour Aperture Masking Interferometry, ou en bon français: interférométrie à masque d’ouverture.”

Astrid Lambers, de l’observatoire de la Côte d’Azur, participe aussi de ce programme. Elle renchérit:

Ca fait tellement longtemps qu’on a attendu ces images! Je suis co-I de ces observations parce que j’ai participé à la proposition (en 2017!) quand Ryan Lau et moi-même étions tous les deux postdocs à Caltech. L’attente  a été très longue entre l’acceptation de la proposition (en 2018 je crois) et ces images fabuleuses. 

D’autres observations de binaires WR ont déjà eu lieu, et à terme on veut vraiment comprendre comment ces objects contribuent au bilan global de la poussière dans l’Univers. Les WR produisent la poussière très rapidement après leur formation, en comparaison avec les étoiles AGB, donc ça peut avoir un impact important sur l’Univers jeune. 

L’image MIRI est bluffante. On a construit la proposition avec l’idée d’observer quelques arcs de poussière, et on en observe 17! Ca veut dire qu’on remonte 130 ans en arriere quand on regarde le dernier arc. Et pendant 130 ans la poussière se forme de façon repetitive et se propage sans être perturbée par les vents déjà présents et le milieu interstellaire. Je ne m’attendais pas à quelquechose d’aussi “propre”, mais plus turbulent.

Moralité: nos chercheurs français sont à la pointe dans tous les domaines! Cocoricooo!