Le JWST découvre un nœud cosmique dense dans l’univers primitif
Ces dernières années, les observations depuis le sol dans les domaines visible et proche infrarouge utilisant des IFU (spectrographe à intégrale de champ, qui combine spectroscopie et imagerie de façon à obtenir des spectres résolus spatialement, chaque pixel produisant un spectre ; voir : Spectrographe à intégrale de champ — Wikipédia (wikipedia.org) ) ont révolutionné l’astronomie extragalactique. La sensibilité infrarouge sans précédent, la résolution spatiale et la couverture spectrale de cette nouvelle technique d’observation, font que les IFU embarqués sur le JWST (NIRSpec et MIRI) nous laissent présager de résultats scientifiques inespérés, pour un large éventail de phénomènes extragalactiques (p. ex., quasars, sursauts de formation d’étoile, supernovae, sursauts de rayons gamma) et en-deçà (p. ex., nébuleuses, disques de débris autour d’étoiles brillantes).
Un quasar, un type spécial de noyau galactique actif (AGN), est une région compacte avec un trou noir supermassif au centre d’une galaxie. Le gaz qui tombe dans un trou noir supermassif rend le quasar assez brillant pour éclipser toutes les étoiles de la galaxie.
Les quasars sont d’un grand intérêt scientifique car ils sont considérés comme le principal moteur de la régulation de la croissance massive des galaxies. Ainsi, il nous est permis d’augurer que le JWST va révolutionner notre compréhension de la co-évolution trou noir-galaxie en nous permettant de sonder les composants stellaires, gazeux et poussiéreux des galaxies proches et lointaines, spatialement et spectralement.
Grâce aux performances extraordinaire du JWST, les astronomes qui étudient l’univers primitif ont fait une découverte surprenante : un amas de galaxies massives en train de se former autour d’un quasar extrêmement rouge. Ce résultat élargira notre compréhension de la façon dont les amas de galaxies dans l’univers primitif se sont réunis et ont formé le réseau cosmique que nous voyons aujourd’hui.
Le JWST a en effet permis de découvrir un nœud cosmique dense dans l’univers primitif. Le quasar exploré, appelé SDSS J165202.64+172852.3, existait il y a 11,5 milliards d’années. Il est exceptionnellement rouge non seulement en raison de sa couleur rouge intrinsèque, mais aussi parce que la lumière de la galaxie a été décalée vers le rouge de par sa grande distance, ce qui fait que le JWST est parfaitement adapté pour examiner la galaxie en détail.
À gauche, le quasar SDSS J165202.64+172852.3 est mis en évidence dans une image du télescope spatial Hubble prise en lumière visible et infrarouge proche. Les images de droite et de bas présentent de nouvelles observations du JWST en plusieurs longueurs d’onde. Ils montrent la distribution et les mouvements du gaz dans un amas de galaxies nouvellement observé autour du quasar central. Sources : NASA, ESA, CSA, STScI, D. Wylezalek (Université de Heidelberg), A. Vayner et N. Zakamska (Université Johns Hopkins) et l’équipe Q-3D
Ce quasar est l’un des plus puissants noyaux galactiques connus qui a été vu à une telle distance. Les astronomes avaient émis l’hypothèse que l’émission extrême du quasar pouvait provoquer un « vent galactique », poussant le gaz libre hors de sa galaxie hôte et pouvant influencer grandement la formation future d’étoiles.
Pour étudier le mouvement du gaz, de la poussière et de la matière stellaire dans la galaxie, l’équipe Q-3D a utilisé le spectrographe NIRSpec du JWST. Cet instrument permet d’observer le mouvement des courants et des vents qui entourent le quasar. NIRSpec peut simultanément rassembler des spectres à travers tout le champ de vision du télescope, au lieu de simplement un point à la fois, permettant d’examiner simultanément le quasar, sa galaxie et l’environnement plus large.
Des études antérieures menées par le télescope spatial Hubble et d’autres observatoires au sol avaient attiré l’attention sur des jets de gaz intenses émis par le quasar, et les astronomes avaient émis l’hypothèse que la galaxie hôte pourrait fusionner avec un partenaire invisible. Mais l’équipe ne s’attendait pas à ce que les données NIRSpec indiquent clairement qu’il ne s’agissait pas d’une seule galaxie, mais d’au moins trois autres autour. Grâce aux spectres sur une vaste zone, les mouvements de tout ce matériel environnant ont pu être cartographiés, ce qui a permis de conclure que le quasar rouge faisait en fait partie d’un nœud dense de formation de galaxie.
Le quasar SDSS J165202.64+172852.3 vu par le JWST (NASA/ESA/CSA) : cette image illustre la distribution du gaz autour de l’objet.
Les trois galaxies confirmées tournent l’une autour de l’autre à des vitesses incroyablement élevées, ce qui indique qu’une grande quantité de masse est présente. Lorsqu’on les combine à la proximité de la région autour de ce quasar, l’équipe croit que cela marque l’une des zones de formation de galaxies les plus denses connues dans l’univers primitif.
Dominika Wylezalek, de l’université de Heidelberg en Allemagne, qui dirige cette étude nous explique:
“Même un nœud dense de matière noire ne suffit pas à l’expliquer. Nous pensions que nous pourrions voir une région où deux halos massifs de matière noire fusionnent. La matière noire est un composant invisible de l’univers qui maintient les galaxies et les amas de galaxies ensemble, et on pense qu’elle forme un « halo » qui s’étend au-delà des étoiles dans ces structures. Il y a peu de protoamas de galaxies connus à ce stade précoce. Il est difficile de les trouver, et très peu ont eu le temps de se former depuis le big bang. Cela pourrait nous aider à comprendre comment évoluent les galaxies dans les environnements denses. C’est un résultat passionnant”
Partie prenante et très active dans cette collaboration Q-3D, une chercheuse française, Nicole Nesvadba de l’Observatoire de la Côte d’Azur nous fait part, elle aussi de ses réactions :
Ces données montrent très bien la puissance de la spectro-imagerie que nous offre le JWST. C’est la combinaison de la très haute resolution spatiale, qui nous permet de bien localiser les différentes composantes de cette source, et de leur mouvement relatif, qui étaient essentielles pour comprendre de quel type d’objet il s’agissait. Seulement la spectro-imagerie est capable de nous donner toutes ces informations à la fois. Nous attendons maintenant avec impatience le deuxième jeu de données de spectro-imagerie de cet objet, qui sera observé avec MIRI. En ce qui concerne l’argument sur le proto-ama, nous avons à la fois plusieurs galaxies autour du QSO (nous savons qu’il s’agit des galaxies puisqu’il y a du continu stellaire, et donc des masses stellaires considérables), et aussi des grands décalages de vitesse entre ces galaxies. Le nombre de sources nous montre qu’il ne peut pas s’agir d’une superposition des galaxies qui ne sont pas reliées gravitationnellement (ce serait trop improbable de trouver plusieurs galaxies par hasard aussi proche d’une seule ligne de visée). La grande dispersion de vitesse entre les spectres que nous observons avec des décalages vers le rouge (“redshifts” en Anglais, terme communément adopté par la communauté scientifique) des différentes galaxies est le signe d’un halo de matière noire très massif (sinon, les vitesses seraient moindres), ce qui est typique pour des proto-amas en formation à ces grands décalages vers le rouge de la lumière du fait de l’expansion de l’univers. On connaît quelques autres structures aussi massives pendant la même époque, mais ils sont en effet très, très rares. Bien entendu, comme Dominika l’a dit, il s’agit vraiment d’une surprise, parce que nous avions uniquement voulu observer le QSO, sans trop nous poser des questions sur son environnement.
L’étude menée par cette équipe est partie intégrante des investigations prioritaires du JWST sur l’univers primitif. Avec sa capacité sans précédent à remonter le temps, le télescope est déjà utilisé pour étudier comment les premières galaxies se sont formées et ont évolué, et comment les trous noirs se sont formés et ont influencé la structure de l’univers. L’équipe planifie des observations de suivi dans ce proto-amas inattendu de galaxies, et espère l’utiliser pour comprendre comment les amas de galaxies denses et chaotiques comme celui-ci se forment, et comment il est affecté par le trou noir actif et supermassif en son cœur.